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et trois cents domestiques, dont cent employés au service de la cuisine et de la table. Seul l’électeur de Bavière, le compétiteur de la reine de Hongrie Marie-Thérèse, le protégé de la France, avait une suite encore plus imposante ; elle comprenait sept cent quarante personnes et deux cent cinquante chevaux.

Terkel Kleve assista à des fêtes chez plusieurs ambassadeurs et prit soin, en se présentant dans les élégantes assemblées, de faire précéder son nom d’une particule. Il observe à ce sujet qu’ « en Allemagne la particule différencie la noblesse de la canaille roturière, comme l’âme distingue les hommes des bêtes. » Reçu chez M. de Belle-Isle, il admira fort la richesse des appartemens, surtout le grand salon suivi d’un autre plus petit où sous un dais se voyait un trône de velours rouge à franges d’or surmonté du portrait de S. M. Louis XV. Dans le premier salon étaient dressées cinq tables ; presque tous les soirs, plus de cent personnes y soupaient sur de la vaisselle d’argent. Dès qu’une assiette était vide, les laquais présentaient d’autres plats. Tout était servi si copieusement que le bon Kleve, trouvant très chers les repas à l’auberge, se privait de diner et réservait son appétit pour le souper chez l’ambassadeur de France. Beaucoup faisaient comme lui. Il y avait aussi les bals et les mascarades où l’on servait des rafraîchissemens « à la française : » thé, café, glaces et gâteaux. Ni vins, ni confitures, remarque Kleve qui devait être gourmand. Un pareil train de maison coulait des sommes folles et rendait soucieux, à Paris, le cardinal Fleury. Mais le maréchal soutenait que sur ce terrain comme sur tous les autres la France avait à conserver sa suprématie. De fait, l’éclat, le rayonnement de la France effaçaient tout.

L’ambassadeur français célébra par de grandes solennités la Saint-Louis de 1741 : « Toute la ville, toute la noblesse, tous les petits princes des environs, tous les ministres étrangers se pressant pour venir souhaiter la bonne fête au roi de France, les réjouissances, illuminations dans les jardins, comédie française, feu d’artifice, joutes sur l’eau, bals, etc. se prolongeant pendant plusieurs jours et l’aimable maréchale, plus jeune de vingt années que son mari, présidant à ces fêtes avec la dignité d’une reine [1] — » Quel brillant tableau !

  1. Duc de Broglie : Frédéric II et Marie-Thérèse.