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L’Europe entière avait les yeux fixés sur Francfort lorsqu’il y arriva au mois de juin 1741. La guerre de la Succession d’Autriche était commencée ; cela n’empêchait pas les fêtes de se suivre sans interruption dans la vieille ville libre, terrain neutre qui donnait au monde le spectacle d’une extraordinaire vie internationale. C’était un déploiement de pompe incomparable. Chaque jour les membres du Conseil de Francfort, qu’entouraient des gardes civils en uniforme bleu à broderies d’argent, allaient au-devant de députations. Les électeurs faisaient leur entrée escortés de gardes, de domestiques et de courtisans. L’envoyé d’Espagne, le comte Montijo, peuplait tout un quartier de ses cavaliers en costume espagnol. La multitude des carrosses dorés, des chevaux richement caparaçonnés, rendait la circulation presque impossible dans les rues étroites et tortueuses ; des chaises à porteurs encombraient les trottoirs ; des pages, heiduques et courriers jouaient des coudes pour se frayer un passage à travers la foule. La trompette des hérauts d’armes annonçait-elle un cortège princier ou une procession religieuse organisée soit par le nonce, soit par un ambassadeur catholique, des bourgeois vêtus de noir et des paysans en habits bariolés accouraient aussitôt, les yeux écarquillés.

Parmi les curieux, beaucoup d’étrangers venus pour chercher fortune : jeunes officiers, cadets de famille qui espéraient réussir auprès de quelque grand personnage, aventuriers de tout pays, cuisiniers et comédiens français, baladins allemands, médecins, charlatans, juristes à qui des contestations suscitées par les questions de préséance procuraient de la besogne abondamment. Au nombre des hommes de loi se trouvait un Danois nommé Terkel Kleve ; ces détails sur la vie de Francfort pendant le Congrès lui sont empruntés [1].

Le maréchal de Belle-Isle, représentant de Louis XV, menait un train splendide. De Mollwitz où il avait conféré avec Frédéric II, le petit-fils de Fouquet était arrivé avec une suite de cinquante gentilshommes français, somptueusement habillés à la dernière mode de Paris. Une armée d’ouvriers, venus de France, avaient installé son habitation où il logeait quinze secrétaires

  1. Journal de voyage de Terkel Kleve (Bibliothèque royale de Copenhague).