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à se faire attacher au ministère des Affaires étrangères de Danemark où il montra tant d’application et des aptitudes si heureuses que le roi Christian VI n’hésita pas à le nommer son représentant auprès du roi de Pologne Auguste III, le compétiteur de Stanislas Leczinski. On respirait en Pologne une atmosphère de batailles et de fol héroïsme. « C’est un pays où les grands ont trop d’ambition, » avait écrit la duchesse d’Orléans, princesse Palatine[1]. Admis à fréquenter la riche et puissante aristocratie, le jeune Bernstorff fut témoin des discordes et des rivalités qui régnaient parmi les grandes familles ; il put aussi constater le vif intérêt que la « société » polonaise portait à la France. Elle gardait vivans les souvenirs du règne de Jean Sobieski, le libérateur de Vienne ; elle s’entretenait encore d’un ambassadeur de Louis XIV à Varsovie, le marquis de Béthune, beau-frère de la reine Marie-Cazimire d’Arquien, cette Française que l’illustre Sobieski épousa par amour et qui gouverna longtemps la Pologne. Une petite-fille du marquis, Marie-Cazimire-Emmanuele de Béthune, était la femme du maréchal de Belle-Isle qui, dans la guerre de la succession de Pologne, remportait des succès sur le Rhin[2]. À cause de ses alliances de famille, on tenait Mme de Belle-Isle pour une demi-Polonaise ; ses deux tantes, filles de l’ambassadeur, s’étaient mariées en Pologne, l’une à un Jablonowski, l’autre à un Sapieha ; en outre, son oncle, Louis-Marie-Victoire comte de Béthune, était grand-chambellan de Stanislas Leczinski.

Le baron Bernstorff quitta Varsovie en 1737. Il était nommé ambassadeur du roi de Danemark auprès de la Diète de Ratisbonne. Ses amis polonais, sachant qu’il désirait ardemment le poste de Paris et qu’il espérait l’obtenir un jour, le munirent de lettres de recommandation auprès de plusieurs familles de l’aristocratie française, entre autres les Belle-Isle ; ils ne se doutaient pas des liens qui devaient l’unir plus tard à la femme du maréchal.

Après un stage d’un ennui mortel à Ratisbonne où tout se passait en tracasseries inutiles, il eut le bonheur d’être accrédité à Francfort. Un Congrès d’élection venait de s’y réunir pour donner un successeur à l’empereur Charles VI.

  1. Correspondance de Madame, duchesse d’Orléans.
  2. Mme de Belle-Isle était fille de Louis marquis de Béthune, mestre de camp de cavalerie, tué à Hochstedt en 1704, et d’Henriette d’Harcourt-Beuvron.