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« Je ne suis pas comme les gens qui vont à la boucherie, et disent : je ne veux pas de ce morceau, ni de celui-ci ; je ne veux pas de gras, je ne veux pas d’os. Moi, je prends toute la vie — la chair, le gras, les os, tout. » En faisant cette déclaration de principes, Musco imite le client difficile et le boucher grincheux. Puis il raconte une bonne histoire ; et tout heureux, il s’effondre sur votre épaule, en riant du même rire contagieux qui met les salles en délire.

Sa troupe est comme une tribu, qu’il gouverne avec une bonté paternelle. Maris et femmes, mères et filles jouent côte à côte ; ce ne sont pas l’intérêt et la vanité qui unissent les acteurs, mais les liens de la famille et ceux de l’affection. Près de Musco se tient son neveu, l’excellent acteur Pandolfini ; il y a deux ans à peine qu’il a abandonné le commerce, pour entrer dans la troupe comme administrateur ; puis il s’est risqué à jouer : maintenant, il compte parmi les premiers. On n’est pas sans éprouver quelque émotion à l’entendre rappeler les temps difficiles. « L’oncle devait se passer de fumer, faute d’argent ; l’oncle et nous souffrions de la faim ; pendant trois jours, nous n’avons eu à manger que du pain, avec un peu d’huile dessus. J’ai dû mettre en gage mon anneau de mariage, — cet anneau que voilà, — pour que la troupe pût quitter Vérone. Il n’avait pas grande valeur ; mais en s’ajoutant aux autres bijoux sacrifiés comme le mien, il nous a tout de même procuré, l’argent du chemin de fer, — troisième classe, naturellement. » Les répétitions se font alla buona, sans cérémonie : Musco dirige, reprend, exécute lui-même les jeux de scène : tous s’inclinent devant sa supériorité incontestable et cherchent à réaliser ses conseils en le remerciant.

Troupe toujours en mouvement, puisque les saisons dans chaque ville ne durent guère plus de quinze jours ou d’un mois : ensuite on boucle les malles, et on va planter ailleurs sa tente. Après Milan, Rome ; après Rome, Naples ; après Naples, la Sicile, où l’on se retrempera dans la vertu de l’air natal. — Troupe toujours en travail ; car il est impossible de se contenter des trois ou quatre pièces à grand succès ; il faut enrichir le répertoire. Or, beaucoup de nouveautés sont appelées, mais peu d’élues ; souvent elles tombent ; il en est même qui sont saluées par les sifflets sonores d’un public sans pitié : peu lui importe que les acteurs lui soient sympathiques : il siffle, et