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cette troupe sicilienne de Giovanni Grasso, dont les débuts à Rome, en 1902, furent une révélation.

Il y fut longtemps premier comique. Mais comment les dieux du théâtre auraient-ils permis que deux acteurs, — l’un célèbre, jaloux de ses prérogatives de chef, autoritaire ; l’autre conscient de son talent, et désireux de le développer en toute indépendance, — fussent toujours unis ? Musco quitte Grasso, et part vers de nouveaux destins. Il sera chef de troupe à son tour ; il aura des acteurs à lui, un répertoire à lui ; il n’abandonnera pas le théâtre dialectal ; mais il laissera le drame, où décidément le couteau joue un rôle exagéré ; il sera l’interprète de la comédie sicilienne. Le voilà donc en Sicile, en 1913 ; il recrute des acteurs et des actrices suivant des principes à lui ; il ne demande pas de métier, au contraire ; il lui suffit qu’on ait l’intuition. Sa compagnie est formée ; il l’instruit.

Seulement, il faut vivre. Les débutans ne font pas recette même à Catane, la ville du théâtre. En route pour le continent ! — Le continent se montre rebelle ; Musco joue devant des banquettes ; les salles où le mène sa course errante sont sinistrement vides. Il y a longtemps que ses économies ont été dépensées ; maintenant, il fait des dettes ; les objets précieux prennent successivement le chemin du mont-de-piété. La troupe remonte vers le Nord de l’Italie. A Pistoia, Musco rêve qu’il mange de la viande crue et des bonbons : mauvais présage. A Vicence, couchant avec ses acteurs dans une manière de dortoir, il ne trouve pas le sommeil ; il sort, il erre dans les rues. Sur les affiches qui annoncent ses représentations, il voit son propre portrait, qui parait vivre aux clartés étranges de la lune. Il l’interpelle : « Qui es-tu ? Un imbécile ?... » Il continue, jouant dans des villes infimes, presque des villages, jusqu’au moment où il atteint Milan. Il faut prendre la décision suprême, et se résigner à la faillite, si Milan boude. Musco se démène, va trouver les critiques, harangue ses acteurs avant que le rideau ne se lève : vaincre ou mourir. Il n’y avait pas grand monde dans la salle des Filodrammatici, ce soir d’avril 1915 qui marqua le début de sa fortune. Mais les spectateurs furent conquis. Ils acclamèrent Musco, ils le vantèrent ; le lendemain, ils revinrent plus nombreux ; bientôt, ce furent les salles combles. Milan la grand’ville, le centre intellectuel de l’Italie