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contagion gagne de fauteuil en fauteuil, toute la salle est conquise ; le rire monte en fusées, s’épand en roulemens sonores ; bruit énorme et confus, où l’on distingue, sur les basses-tailles des hommes, les voix aiguës des femmes, les voix claires des enfans.

Heureux acteur, capable de faire déferler ainsi la houle du rire, de provoquer à son gré le rire inextinguible qui rend égal aux dieux ! Sa physionomie est des plus curieuses : cheveux noirs et crépus, teint fortement bronzé, pommettes saillantes ; ses yeux brillans ont une expression malicieuse et futée ; ses lèvres découvrent volontiers une rangée de dents d’une blancheur éclatante. Il est petit, agile, mobile : on dirait qu’il a du vif-argent dans les veines. Une force comique singulière jaillit de tout son être. Il a cinquante façons différentes de mettre son chapeau, de remuer sa canne, de marcher, de voltiger ; et il est toujours drôle. Sa réplique est prompte, nerveuse ; elle jaillit comme une réflexion naturelle, et n’a jamais l’air d’un mot d’acteur, encore moins d’auteur. Mais son plus grand privilège est le geste. Plaignons les gens du Nord, qui ne parlent qu’avec leur bouche, et ignorent l’éloquence des bras, l’éloquence des mains agiles, l’éloquence des doigts nerveux ! Avec ses gestes, Musco parle, Musco peint. Il fait jaillir du néant les images ; il ne se contente pas de dessiner les lignes, d’imiter les mouvemens : il transpose ; il extrait la force dynamique d’un sentiment ou d’une idée ; le spectateur n’a plus à supposer, à deviner : il voit l’invisible. Je gage qu’il n’est rien que Musco ne puisse traduire en gestes. Langage très supérieur à celui des mots, qui sont effacés, usés, à la portée de tous, banals : tandis que les gestes restent personnels, restent originaux, et sont vivans. Aucune étude ne saurait en fournir le secret. Pour en posséder le don, il faut être né dans le pays où ni les paroles, ni même les cris, ne suffisent au grand besoin d’épanchement ; où les manifestations violentes des passions ne semblent pas exagérées, puisqu’elles sont communes à tous ; où les gens gesticulent par besoin et par plaisir : ceux qui ne gesticuleraient pas sembleraient engoncés et ridicules. Il faut être né dans les heureux pays où, sous l’invite du soleil, tout s’extériorise, même les âmes...

Musco est né en Sicile, à Catane, dernier de quatorze enfans. Il a fait tous les métiers : chapelier, pâtissier, gantier, maçon.