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plus : une silhouette souple et simple, un visage lisse et qui souriait presque sous le casque à larges bords, qui ressemble à un pétase grec. C’était exactement l’un des jeunes processionnaires de la frise du Parthénon, celui dont le corps flexible se rejette en arrière, du mouvement le plus facile, harmoniquement lié à celui de sa monture. C’était la même ligne si pure, le même rythme, la même beauté, le même jeune homme, qui revenaient après des millénaires, — qui reviennent à chaque génération. Une petite fleur que l’on retrouve après beaucoup d’années dans un certain creux de la forêt, dit la même chose. Immortalité dé la vie ; divine énergie que n’épuise pas la répétition sans fin des formes éphémères.

Toujours les sourds tapages de tôles invisiblement secouées, heurtées par des marteaux géans, un peu partout, dans le voisinage. En l’air, des boules de fumée blanche éclataient autour d’un grand oiseau pâle. On essayait toujours de tuer, au-dessus, comme aux environs du cimetière.

Ce grand rectangle hérissé de croix... C’est la fin du cycle. J’en avais vu le premier temps en Angleterre : ces rangs de jeunes gens, en vêtemens civils, qui se formaient dans les parcs de Londres aux disciplines du soldat. Ensuite le port de France où je les regardais débarquer, avec leurs lourds harnachemens, leur expression de force réticente, leur teint de cuir rouge, leur aspect, déjà, de légionnaires mûris par les fatigues, les pluies et le soleil. Et puis sur nos routes, dans nos campagnes, leurs multitudes, leurs rangs dressés comme de la terre qui marche, leurs travaux, parmi tout ce qu’ils ont apporté, bâti contre l’ennemi commun sur notre sol. Enfin leur patience dans les boues des tranchées, leurs vigilantes immobilités à travers les jours et les nuits, coupées par les fièvres héroïques de l’assaut.

Ici la fin, dans cette terre française qu’ils ne connaissaient pas, qu’ils ont défendue, dont ils feront maintenant partie pour toujours. A côté des nôtres, ils nous sont sacrés comme les nôtres.


ANDRE CHEVRILLON.