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soir, un cimetière, comme leurs sœurs d’Orient qui vont s’asseoir parmi les cippes, sous les cyprès et les beaux oliviers. Les femmes de toutes races ont le culte des morts. Celles-ci sont des habitantes du petit village que l’on voit tout près. L’une, jeune encore, tient deux fillettes de cinq et six ans par la main. Elle semble déchiffrer les noms anglais ; je la vois qui redresse pieusement un pot de fleurs que le vent a renversé. Une autre, presque vieille, est immobile, et semble dire une prière. Sans doute, ces paysannes ont des fils, des frères, des maris, qui peuvent être tués, dont plusieurs sont tombés déjà de la même façon, dans la même guerre. Et puis les soldats en khaki font partie maintenant de leur monde habituel, qui reçoit d’eux toute son animation. Le village est un cantonnement. Quelques-uns ont dû y loger, de ceux qui reposent dans ce champ, et peut-être ce sont les noms de ceux-là qui les arrêtent, ces femmes, — les tombes de ceux-là qu’elles essaient d’entretenir.

Les mères, les veuves, les sœurs, de l’autre côté de la mer, savent-elles cette piété féminine penchée sur leurs morts, si près du champ de bataille ? Des Françaises ont adopté ces morts qui, vivans, n’étaient déjà plus des étrangers pour elles, mais des soldats comme ceux d’auparavant, menant la même vie, luttant pour la même cause. Plus de différence, maintenant, entre eux et les Français qui reposent sous les croix noires. Tous tombèrent en défendant le village et ce morceau de terre française [1].

Nous avons échangé quelques mots, en passant, avec cette femme dont les yeux pâles devaient avoir vu bien des choses.

« C’est comme vous voyez, a-t-elle dit : les tombes anglaises sont deux fois plus nombreuses que les nôtres, — il y en a six cents ; vous pouvez les compter. Et il n’y a que trois mois qu’ils sont arrivés dans le pays. Pourtant il n’y a pas eu de grands coups depuis. C’est les accidens de tous les jours : les

  1. Extrait d’une lettre écrite par un officier anglais :
    There they shall lie, those dear dead of ours, unforgotten by us and remembered by you. Far from their own, they sleep their last long sleep in a foreign bufriendly land.
    If we ourselves cannot tend those graves, surely, in the time to come, some kindly hearts, remembering that the dead below died for France as well as for Britain, will prompt gentle hands to place the tribute of a flower on the grave that France has given.
    Living vue gave them to you, dead you will cherish them for us.