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et revint s’éclipser du côté d’Arras, derrière l’écran des deux tours.

L’air tremblait toujours, aux coups de gong 4es artilleries ; et dans le Sud, cela se prolongeait en rumeur sourde et continue. Grondement irrité d’orage, éclairs entre deux fronts où s’accumulent, comme les électricités contraires qui chargent deux noires nuées, les énergies et les volontés venues de la masse et du profond de deux peuples.

Ce jour-là, — un général anglais nous l’apprit le soir même, — cinq autres saucisses allemandes furent descendues devant la ligne anglaise, et dans la nuit qui suivit, de notre logis, à dix lieues en arrière, nous vîmes tout l’horizon déborder de flamboiemens et de rayons. On était à deux jours de l’offensive de la Somme. Nous avions vu la préparation d’artillerie ; elle s’étendait dans le Nord, où il s’agissait de retenir l’attention de l’adversaire. Ces ballons-observateurs espacés de l’autre côté de la plaine, c’étaient ses yeux, épiant, à deux et trois lieues de dis- tance, les batteries anglaises. On s’occupait d’abord de crever ces yeux.


CEUX QUE NOUS GARDERONS

Un cimetière, à côté d’un village, à deux kilomètres du Mont Saint-Éloi.

Le village est tout petit : le cimetière est très grand. Des rangs et des rangs de croix jaunes, suivies par des rangs et des rangs de croix noires.

Les croix noires sont françaises ; anglaises les croix jaunes. Comme dans les armées vivantes, la distinction des individus s’abolit : on ne voit que les deux armées, mais la mort, en chacune, a son uniforme distinct. Ainsi, sans s’y confondre, les rangs anglais continuent ceux des nôtres, simplement, sans interruption, comme les hommes d’Angleterre sont venus continuer, en cette partie du front, la garde et la poussée des nôtres. En regardant la date inscrite sur la première des croix jaunes, on saurait la semaine et presque le jour de 1915 où s’opéra la relève.

Il y a des groupes de femmes, qui vont lentement d’une tombe à l’autre, comme si toutes également les attiraient. On dirait qu’elles trouvent une douceur à hanter, aux rayons du