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Boches. Ça s’entend bien ! Ils sont à la porte de la ville. A quatorze cents mètres d’ici. »

La bataille recommençait toujours, la bataille interminable dans le temps comme dans l’espace. Quelque chose de grand se préparait, et ses fracas devaient aller croissant, ce jour-là, depuis Ypres jusqu’à la Somme, tout au long de cette lisière dévastée dont Arras n’est qu’un point.


LE CHAMP DE BATAILLE DE L’ARTOIS

A deux lieues plus au Nord, au Mont Saint-Eloi, au pied de la grande ruine abbatiale : deux tours jumelles, et mutilées, où des morceaux de ciel s’encadrent dans les déchirures de la pierre. Plusieurs fois, ce matin-là, elles s’étaient montrées de très loin, petites sur leurs collines, et presque noires dans le gris universel, élargissant l’étendue vide par leur présence, comme une bâtisse bien dessinée dans une estampe militaire du XVIIe siècle, où l’on voit de grands nuages, des faisceaux de rayons gris, et Louis XIV qui chevauche.

Les tours rappellent celles de Saint-Sulpice, dont elles ont la gravité, -la grandeur scolastique, un peu pédante. Elles émeuvent par leurs blessures. Plusieurs fois, elles ont connu la haine allemande. Les obus de la guerre actuelle n’ont fait qu’y reprendre, achever les ravages de 1870, que le temps avait revêtus de ses lierres.

Des tombes, partout des tombes, sur cette colline, entre les buissons qui déjà ont recommencé de vivre. Certaines portent une inscription sur leurs petites croix noires, et celles-là disent un numéro de régiment français. Pendant bien des mois, ces lieux ont fait partie des régions interdites, celles que nos soldats voient au loin comme l’au-delà où tendent constamment leurs regards et leurs efforts. D’une héroïque poussée, à travers les fils de fer et les nids de mitrailleuses, les Français y sont entrés, et la ligne ennemie recula jusqu’à la ligne d’horizon. Sans doute, sur les pentes de cette butte, la résistance fut plus acharnée qu’ailleurs : on a dû se battre mètre à mètre. Nos pieds heurtaient des débris d’équipement, de vieilles cartouches allemandes et françaises. Mais il y avait des fleurs sauvages partout ; en bas de la colline, deux soldats anglais, en permission de dimanche, fumaient, jambes pendantes, sur un talus.