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choc voisin des obus ou la secousse des écroulemens, la roche se détache, sous laquelle la cave est creusée. D’ailleurs, assurent-elles, on est tout à fait protégé dans ce simple sous-sol, dont elles nous font admirer le confort. Lorsque le cri des grands projectiles recommence de fendre le ciel, que les explosions tonnent à l’autre bout de la place, il suffit de descendre quelques marches. On se met « comme ceci, » contre le mur, derrière la porte, que l’on a soin de laisser ouverte, ce qui vous gare contre les éclats qui pourraient venir de la place, et permet, en cas de surprise, de remonter au grand air en trois enjambées. L’essentiel est de ne jamais fermer la porte, car tout de même, quelque chose de sérieux pourrait tomber tout droit dans le sous-sol, et faute d’issue pour les gaz, la maison sauterait, comme quelques-unes ont sauté. Mais à présent que l’on sait, on ne risque rien. Seulement, si le tir allemand baisse d’une petite fraction d’angle, quelque secousse et fracas venus de ce deuxième étage dont on a fait son deuil, et puis une traînante croulée de briques qui s’en va grossir le talus de pierraille devant la place. A part cela, on n’est vraiment pas mal.

« Les Anglais sont très gentils, ajoutait la plus vieille, et grâce à eux, on se ravitaille facilement. Nous leur vendons des cartes postales, des crayons, un peu de bière, — oh non ! pas d’alcool, il ne viendrait plus personne. Bien sûr, on ne fait pas grand commerce : c’est plutôt en passant, pour changer, s’amuser que les hommes entrent chez nous. A leur cantine, ils trouvent tout à meilleur marché. Au commencement, ils nous demandaient du thé. On a essayé d’en avoir, mais ils disaient : No good, no good. C’est qu’ils en touchent de bien meilleur chez. eux. Vous voyez, ça n’est pas pour les affaires qu’on est resté. Mais aller on ne sait pas où ! — devenir des réfugiées ! On n’est bien que chez soi. C’est toujours là qu’on est le plus tranquille. »

Ainsi causait l’une des deux habitantes de la Petite-Place d’Arras, ce matin de juin, en face des épouvantables ruines. Tandis qu’elle louait la tranquillité de sa vie, le claquement des mitrailleuses avait repris, sonore dans la solitude de pierre. Cela semblait venir d’assez près, de la Grande-Place, derrière nous, où pourtant nous n’avions vu personne. Et comme nous demandions à cette habituée d’où les Anglais tiraient : « Comment ! les Anglais ? Vous ne reconnaissez pas ? C’est les