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Presque toutes les entrées de ces caveaux, qui s’ouvrent, comme dans les villes du Nord, directement dans la rue, portent le numéro d’ordre d’une escouade. Dans ces gîtes se distribue chaque nuit la troupe anglaise.

Et puis, enfin, on s’apercevait que tout n’avait pas disparu de l’ancienne espèce. Sur des portes fermées, nous avions déjà lu cette annonce écrite à la craie : « Maison habitée. » Mais l’annonce pouvait être ancienne, et la maison semblait vide. Cette fois, c’était un magasin, et mieux qu’habité, ouvert, sous cette enseigne qu’on lisait avec stupeur : « Mme X... fabricante de corsets. » Trois jeunes personnes en sortirent, qui vinrent sourire de la façon la plus engageante au groupe qui passait. Cette jeunesse féminine et ce sourire, c’était le plus inattendu de tout, dans l’abandon d’une cité détruite. D’ailleurs, elles paraissaient bien désœuvrées, ces demoiselles, en ce solennel dimanche, tandis que les soldats anglais articulaient les paroles bibliques, se pénétraient dans leurs souterrains des influences qui protègent d’honnêtes garçons contre les tentations du Diable.

A cent mètres de là, une autre annonce, improvisée sur une planche, semblait bien plus de circonstance :


A... menuisier.

Réparations de toitures par papier goudronné.

Cercueils en tous genres.


Mais cette boutique-là semblait fermée. L’écriteau devait dater des premiers bombardemens, et, les cliens partis, le menuisier avait fini par les suivre.


Nous avons poussé jusqu’aux quartiers neufs, où la destruction était autre, plus saisissante, peut-être, en ces bâtisses de boulevards qui parlent des activités modernes : grands hôtels. Poste, banques (des fougères avaient poussé sur le talus qui protège les soupiraux du Crédit Lyonnais). Inoubliable est surtout la gare, à l’un des bouts de la ville, sur la place isolée qu’on nous avait d’abord interdite, où nous n’allions qu’en file. à distance les uns des autres, rasant toujours les murs.

La gare, si vivante jadis, et par où cette ville de province recevait sa vie, en se reliant à toute la circulation française, c’en est aujourd’hui le lieu le plus désolé, sans doute parce que cette ruine ne s’enveloppe pas de ruines pareilles, parce qu’elle s’espace,