Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’on voyait que l’enchantement était autre, que la Mort, et non pas le Sommeil, régnait en ces lieux.

Et subitement, tout près, derrière le premier rang de maisons, deux, trois, quatre coups de foudre, plus violons dans ces espaces confinés par la répercussion de toute la pierre environnante. Un officier que notre guide est allé chercher nous renseigne. C’est bien tout près : une batterie anglaise. On tire d’une place voisine, et les Allemands sont à la porte d’Arras. Cinq minutes plus tard, un claquement rapide, régulier passe d’un trait. On dirait encore que cela vient de la ville, mais c’est une de leurs mitrailleuses. Arras est dans le champ de bataille, dans ce champ infini où la bataille est chronique depuis plus de deux ans, où çà et là passent des volées d’obus et des nappes de balles, où s’allongent des feux de barrage, sans que paraissent presque jamais les hommes, tandis que les immobiles ballons veillent, et que bourdonnent les avions.

Le bourdonnement des avions, c’est un autre des bruits intermittens qui rompent le silence de la cité morte. On levait les yeux, et parfois, dans une bande de ciel, entre deux rangées de maisons, on voyait passer lentement l’un des grands oiseaux planeurs. Ce jour-là, par l’effet sans doute de quelque imperceptible brume, ils semblaient tous étrangement pâles, presque translucides : des fantômes d’oiseaux qui s’effaçaient à une grande hauteur.


Deux heures durant, nous avons erré dans ce désert qui fut une ville, et où l’on n’entend plus rien que les épouvantables et prochains fracas des canons. Un cadavre de ville. En beaucoup de points, la forme est encore là : on marche entre des murs continus de maisons. Chacune a ses fenêtres, sa porte close et souvent cadenassée, sa sonnette ; les boutiques, — la plupart, des estaminets, — ont leurs enseignes ; mais tout cela est abandonné comme la longue perspective de la rue qui ne mène qu’à d’autres solitudes. De loin en loin, quelques logis, bien rares, portent ces mots écrits à la craie sur la porte : Maison habitée. Mais le plus souvent, derrière le mur presque intact, il n’y a rien ; les rectangles des fenêtres n’encadrent que vide et délabrement. Tout ce que la vie humaine avait organisé derrière ces carapaces, tout l’intérieur de ruche est broyé, consumé, litière de choses sans formes et sans noms. Ailleurs, des pans de