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« Ça, dit-elle, c’est d’hier. Une bombe d’avion. Un officier a été tué ; il avait trente-neuf blessures. »

Et comme on s’étonnait de la voir rester si tranquillement chez elle :

« Oh ! ces coups-là, c’est rare. Oui, au commencement, tout ce bruit-là, ça gênait. On avait peur. Mais vous savez bien : on s’habitue. »


À midi, la route devenait saine ; on levait la consigne, et les voitures passaient. Étrange fureur de ces bombardemens, qui sévissent pendant une heure sur les mêmes lieux où il n’y a plus personne.

On avait recommandé d’aller vite. La route défila d’un trait. Deux arbres abattus ne la barraient qu’à demi. Une longue bâtisse éventrée, comme nous en avions beaucoup vu, passa. Mais un détail était nouveau : de la fumée sortait de ces ruines. Du travail boche encore tout chaud.


Et maintenant, autour de nous, c’est Arras. Une place blanche, une place déserte, où nous arrêtons sous de beaux platanes. Ces arbres, cette solitude, cette herbe entre les pavés, ces façades claires dont plusieurs portent frontons… on se croirait, d’abord, dans un coin écarté de Versailles. Et puis on remarque deux choses : aux fenêtres il ne reste que des morceaux de vitres, et la plupart des toitures ont disparu. Sur le pavé, comme tout à l’heure sur la route, gisent des troncs d’arbres renversés.

Nous sommes restés là un quart d’heure, tandis que l’officier qui nous accompagnait allait se présenter à la place. Nous n’avons vu ni un chien, ni un chat, ni un moineau, ni un civil. Seulement quatre soldats anglais qui passèrent à la queue-leu-leu, en rasant les murs. C’est la consigne générale ici : on contourne, on ne traverse pas les espaces découverts.

Ils passèrent, et l’on entendit sonner leurs pas. Rien d’autre. Pas même, en prêtant l’oreille, ces petits bruits lointains de charrois ou de chiens aboyans que l’on perçoit dans la plus abandonnée des villes de province. Un silence de Belle-au-Bois dormant. Mais les regards, à travers des rangs de fenêtres ver cassées, tombaient sur la ruine intérieure des vieux hôtels,