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est stricte. Aussitôt qu’apparaît une condition nouvelle de vie, une nécessite d’adaptation, la question qui se pose concerne la conduite. Qu’est-ce qui est permis ou défendu ? La réponse est rapide et générale, et tout de suite impérative pour chacun. Il ne s’agit pas alors de considérer ce que fait le voisin, ni de compter sur tous les autres pour l’accomplissement de la tâche, en se disant qu’on n’y apporterait qu’une part imperceptible. Il s’agit de se satisfaire soi-même en obéissant.

C’est par de telles réponses que l’Angleterre a résolu son problème de la guerre. Devoir de faire la guerre. Devoir pour les hommes valides de se faire soldats. Devoir pour les autres, pour les femmes, de travailler au service national. Devoir pour chaque famille de restreindre d’un quart sa consommation de viande.

Les choses que nous devons faire, et les choses que nous ne devons pas faire, récitaient les voix anglaises que nous écoutions monter derrière un mur, dans cette petite ville de province, par un dimanche de Fête-Dieu.


LA RUINE D’ARRAS

Arras : 12 kilomètres, Mont-Saint-Eloi : 9, disait un indicateur.

Au pied du poteau, étranger aux mouvemens de la guerre, un paysan lisait son journal. Le canon grondait toujours dans l’Est. A mesure que l’on avançait, on sentait que ces tonnerres s’espaçaient, par là, sur une ligne très longue. C’était comme par un jour de tempête, lorsqu’on approche de l’Océan, et que, sans le voir encore, on entend les coups sourds de ses vagues croulant sur une plage infinie. On savait que le duel se continuait, comme l’assaut de la mer contre la terre, à travers une suite d’horizons, — vers la Belgique, vers la Champagne et la Lorraine.

Nous arrivions à la zone que bat l’artillerie allemande, et déjà dans les vues de l’ennemi. Il fallut prendre un chemin détourné qui descend à droite entre les blés, — magnifiques jeunes blés de juin, presque bleus, ondulant comme de l’eau, au petit souffle matinal. Un ciel vaporeux, frissonnant du chant innombrable des alouettes, semblait couver de sa moiteur le mystère de vie qui se poursuivait, malgré la guerre, dans la paix de ces campagnes mûrissantes. La solitude, la pureté du