Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hangars. De l’autre côté de ces hangars, une large voie de chemin de fer, de multiples rails. Le bateau, le quai, le magasin, le rail, si on les représentait par quatre traits contigus et parallèles, ce schéma donnerait le dispositif primordial d’une base.

Cette surface vide d’un quai où passent les approvisionnemens quotidiens d’une armée, c’est peut-être le plus frappant de tout ce que l’on vous montre dans ce port. Dans les docks, des milliers de caisses sont rangées par ordre de matières, comme les livres sur les rayons d’une bibliothèque. Mais le quai est comme le bureau qu’un travailleur méticuleux s’appliquerait à maintenir toujours net. Chaque objet y arrive, étiqueté de chiffres qui correspondent à tel magasin, à telle travée du magasin, à tel rang de la travée. A mesure que les hommes du bateau déchargent, les hommes des docks enlèvent ; la vitesse du premier travail est exactement calculée sur celle du second. Et défense à ceux-là, nous explique-t-on, de poser un colis sur un colis : ce serait un encombrement qui commence. Le principe, c’est que, pour ne pas gaspiller de temps et de travail à lutter contre le désordre (qui croit de lui-même, aussitôt qu’il s’établit), le mieux est de l’empêcher de naître.

Nous entrons dans le magasin des biscuits. Il est immense, aussi désert que le quai. Dans ces longs couloirs, sous les colonnes symétriques de caisses qui montent là haut dans l’ombre, on marche avec respect, comme dans une cathédrale. C’est ici l’apothéose du biscuit : on n’imaginait pas qu’il put atteindre à ces proportions. Des lettres et numéros répètent la classification d’un catalogue. Dans cette solitude, l’ordre semble absolu, définitif comme dans une pyramide de Pharaon, scellée pour l’éternité. Mais par les portes de droite, on aperçoit des cheminées fumantes de bateaux ; par celles de gauche, des locomotives et des wagons.


On nous montre une boulangerie militaire : neuf cents ouvriers ; cent vingt mille pains par jour. Tout est pur et blanc : les tables où l’on pétrit la pâte qui circule par des glissières, d’étage en étage, en immense ruban ; les vêtemens des boulangers, autant que la farine. Toujours l’impression de simplicité, de rigoureuse précision. Cas mitrons au visage bien rasé semblent aussi pareils et battant neuf que les soldats que je regardais l’autre jour débarquer, que tous ceux que j’ai vus