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soulevant le pays par grandes ondes, et l’arbre, à mesure que l’on avance vers la mer, se profile en silhouette pathétique, penché, hérissé, comme s’il avait grandi dans la peur et l’émoi du vent. Un ciel bas, d’un gris tendre, des pinceaux de rayons brumeux, posant sur le pays de pâles traînées d’argent : des éclairages de Finistère. Que tout cela est intime, pénétré de sentiment ! Comme on aimerait s’arrêter, écouter le silence, se replier dans le recueillement de tout ce paysage ! Admirable variété de la France ! Par contraste, dans cette campagne qui touche à la mer du Nord, je songeais à la Provence, aux fastes païens du soleil, aux grands décors de la montagne, au bord d’une autre mer.

Saint-Omer passée, pendant des lieues et des lieues, rien qui rappelle la réalité d’aujourd’hui. Pas un soldat, pas un charroi de guerre. Toujours les mêmes villages, dont les maisons roses sont fleuries de roses, avec le luxe anglais, flamand, des jardins. Toujours les blés, les prés de luzerne et de trèfle, et de loin en loin, un Ilot de grands arbres, un bois sombre où, dans l’ouverture d’une avenue, se révèle, un instant, une façade de château, grise, élégante, toute française, comme les lignes de cette noble et sobre contrée.

Comme nous approchions de notre but, le pays s’est rasé, en se faisant plus vaste, plus triste et plus froid. Des voiles troubles, des franges lointaines de pluie sont descendues du ciel, dans l’Ouest. On ne distinguait pas la mer, perdue dans l’universelle grisaille, mais on voyait la terre finir en horizon trop bas, échancré sur le vide : ligne étrange, relevée tout d’un coup sur la gauche, en promontoire pâle et nu qui fuyait et fondait dans une brume. Alors la ville apparut, sombre, sous des fumées industrielles : toits de briques, lignes de corons autour des Vieilles nappes d’ardoises, et au centre, de sombres monumens du Moyen âge, le beffroi bruni par le temps, que l’on voit de la mer et qui servit de repère aux marins d’autrefois comme à ceux d’aujourd’hui.


Ce que vous montrent les Anglais ne parle guère aux yeux. Rien, sur ce vaste quai, qui rappelle les foules et les agitations pittoresques de la Joliette. Il est désert : une longue perspective entre des silhouettes de bateaux non moins déserts, et d’immenses