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manche de Denise : « Pas toi, marraine. Reste ici. » Denise lui baisant le front dit tout bas : « Marraine revient tout de suite. » Il y avait un rayon dans ses yeux quand elle entra derrière Adrienne dans sa chambre. Danielle levait la trappe sur une flambée de bois ; elle se retira. Denise ouvrit un tiroir dans une table d’acajou : elle y prit un portefeuille.

— Tu devines, dit-elle : ce sont ses lettres. J’en ai vingt- deux. J’ai tout risqué pour les emporter avec moi. Une petite servante qui devait partir dans notre convoi a été retenue pour avoir mis dans sa malle une photographie de sa maîtresse morte, au bas de laquelle il y avait écrit : « Souvenir. »

Quelle folie, n’est-ce pas ? J’allais à lui, et il fallait que je risque mon bonheur pour ne pas me séparer de ses lettres ! Je les avais cousues dans le fond de ma malle entre la toile et l’osier. A la façon dont on a visité nos bagages, on aurait dû les trouver vingt fois ! Quelle folie !...

Eh bien ! tu vois, je n’ai pas encore eu le courage de les détruire. Je ne les relis pas, mais je sais qu’elles sont là, et tant qu’elles y seront, je n’aurai pas vraiment accepté ma vie. Tiens, Adrienne, je n’ai pas la force ; mets-les dans le feu !

Elle déposa entre les mains d’Adrienne Estier le paquet de feuilles minces et crissantes, couvertes d’une fine écriture d’intellectuel ; et, ouvrant la fenêtre, elle s’accouda à la balustrade.

Deux ou trois minutes s’écoulèrent dans un silence absolu. Puis Adrienne posa ses doigts sur l’épaule de son amie et dit tout bas : « C’est fait. » Denise ne bougea pas, et Adrienne se penchant vit à travers le voile de crêpe le profil blanc et crispé levé vers la lune, le bout des ongles appuyé contre les dents.

Tout à coup, Denise chercha la main d’Adrienne, la porta à sa bouche, y colla passionnément ses lèvres, « Merci, balbutia-t-elle, laisse-moi. C’est fini maintenant. Eteins la lumière en sortant, je t’en prie. Merci, merci ! »


CAMILLE MAYRAN.