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Il m’avait dit qu’elle était pieuse, et lui-même avait l’habitude d’aller à la messe. Nous y étions allés ensemble ; nous l’avions suivie deux ou trois fois, l’un à côté de l’autre, très attentivement. J’ai toujours eu l’impression qu’il n’avait pas beaucoup de foi, mais les choses de l’Eglise lui plaisaient. J’ai voulu essayer de les apercevoir à la messe où je ne doutais pas qu’ils n’allassent ensemble, — et tard probablement, — puisqu’elle était « très à ménager. »

J’allai pour la messe de onze heures à Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Ils n’y vinrent pas.

J’attendis encore : à midi ils arrivèrent ; je le vis, lui, marchant derrière elle dans le jour pâle et comme filtré de cette église. Une grande jeune femme, — oh ! Adrienne, — tellement jolie, mais pas comme les jolies femmes qui n’ont pas l’air de la race humaine ! — de longs yeux bruns, de longs cils sur des joues mates, et un beau nez recourbé. Elle portait un chapeau noir dont le bord se relevait en arrière sur un chignon châtain, brillant et parfaitement ordonné ; une jaquette de loutre, un manchon gris. Ceci me montra que le ménage de Philippe était plus fortuné que je ne l’eusse fait. Elle marchait bien, d’un pas long, aisé. Sa figure était sérieuse, tranquille, avec une expression de douceur et de réserve. Je la suivis des yeux et m’installai dans le bas-côté à un endroit d’où je voyais son dos mince, son beau chignon et, de trois quarts, sa joue pâle. Lui m’était presque caché par le grand chapeau noir. Elle suivit toute la messe, et quand je vis comme elle priait, je me mis à prier moi aussi, à demander la force d’accepter cela et de vivre selon ma destinée.

A un moment, je la vis s’incliner un peu vers Philippe en montrant du doigt une ligne sur son livre : quelque texte qui l’avait frappée. Je conçus à quel point elle était heureuse ; cette sensibilité de Philippe si fine, si vibrante qui sait répondre à tout, elle pouvait y faire passer chacune de ses pensées. Et elle avait déjà dans ce simple geste un tel air de sécurité ! On eût dit qu’il était à elle depuis toujours. J’eus l’impression qu’elle me démontrait en toute douceur, en toute bonne foi, et invinciblement, que je n’avais jamais existé. Et pourtant, je la plaignais un peu du mal qu’elle m’avait fait, — que je n’aurais voulu faire à personne, — ni elle non plus sans doute...

La messe achevée, ils sortirent ; je les suivis du regard dans