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« Ces gens-là ont la passion de se raconter, pensait Adrienne. Je suis sûre qu’il l’oubliait tout à fait en lui parlant. Et ils comptent toujours sur la sympathie ! Pauvre enfant, lui raconter son second amour ! »

— Il avait les tempes humides, continuait Denise. Il m’appelait toujours par mon nom. Heureusement ! Je pensais : « Il voit bien qu’il ne peut pas feindre que nous ne nous soyons pas aimés ! » Il me dit qu’une fois rétabli, il avait acquis la certitude que ce sentiment, — né dans la maladie, — durerait au delà, qu’il tenta sa chance, et qu’il sut que la jeune fille l’aimait aussi. Ils se sont fiancés au mois de juillet ; mariés au mois de septembre, en Bretagne, au bord de la mer. Je voulus savoir le jour : ce fut dans la même semaine où j’avais perdu maman !...

Je lui demandai si sa femme avait eu connaissance de ses premières fiançailles. Il devint inquiet, il me répondit avec agitation que non. Elle ne savait pas, — il ne fallait pas qu’elle sût, ce serait pour elle un très grand trouble de conscience. Il se tut, et puis au bout d’un instant il dit : « Elle est très pieuse. » Comme je ne répondais rien, je sentis qu’il s’inquiétait de plus en plus ; son inquiétude m’indignait, et j’avais trop d’orgueil pour dire le mot qui l’aurait dissipée. Je me sentis rougir. Lui ne s’en aperçut pas ; il avait la figure absorbée ; il ne pensait qu’à sa femme ; c’était comme s’il l’avait vue devant lui avec un reproche et une souffrance dans tout son être. Il finit par dire d’une voix timide et dont l’accent de tendresse était à me faire crier : « En ce moment-ci surtout, elle a besoin d’être très ménagée. » Puis à son tour, il rougit brusquement et fixa ses yeux sur le tapis.

« Mais, Philippe, lui dis-je, il ne me serait jamais venu à l’esprit de compromettre la tranquillité d’âme de votre femme. »

Adrienne goûta au passage cette nouvelle ironie : l’archange de sérénité menacé par la petite Nise !

Celle-ci continuait :

— Il y eut ensuite un silence entre nous, — affreux. Il n’osait plus me regarder, et moi, je me sentais devenir inerte comme une pierre.

Je le regardais cependant ; surtout son beau front et ses tempes serrées qu’autrefois j’aimais tant à toucher, et je me disais : « Voilà, c’est fini... voilà... »