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Max et Philippe ; je ne sentais plus que le vide autour de moi ; il me semblait probable que la mort m’avait tout pris.

Dès que j’eus fait ma toilette, je demandai à Danielle de venir avec moi rue de l’Abbé-de-l’Epée. Tu sais que c’est là qu’était le petit appartement de Philippe, son petit logis au cinquième étage, plein de livres et de vieilles étoffes. Max m’y avait emmenée plusieurs fois au début de mes fiançailles. Je pris le bras de Danielle dans la rue ; mes genoux se dérobaient. J’entrai seule dans la loge de la maison, il y avait là un vieux concierge gras et pâle, absorbé par son journal. Je pensai que toute ma vie dépendait de deux ou trois paroles qu’il allait me dire, je regardai sa vieille bouche molle et hargneuse avec une fascination de terreur. Je ne savais comment poser ma question. Ce n’était pas le même concierge que j’avais vu là les quelques fois où j’étais venue. Il me dévisageait par-dessus son journal d’un air ennuyé. Je finis par demander : « Monsieur Brunel a-t-il toujours son appartement ici ?

— 30, avenue de l’Observatoire, » répondit-il, et il se replongea dans sa lecture.

Je ne voulus rien demander de plus : je savais que Philippe était vivant ; je me rappelle cette bizarre sensation de faiblesse et presque de souffrance, comme si mon corps était trop petit pour contenir l’enthousiasme qui m’agitait. Je brûlais de courir avenue de l’Observatoire, mais je n’osais pas. Il ne savait pas la mort de maman, il fallait lui dire cela d’abord : et je pensai tout d’un coup que lui aussi voudrait peut-être me dire quelque chose avant que nous ne nous voyions. Le concierge avait parlé d’un ton catégorique qui me semblait impliquer que Philippe vivait maintenant à Paris. Du reste, comment eût-il déménagé s’il faisait encore la guerre ? Il était donc réformé ; il avait reçu quelque grave blessure... Cela ne me faisait pas peur. J’avais trop de joie de le savoir vivant. Il me vint à l’esprit que ce nouvel appartement, il l’avait choisi pour m’attendre, — en pensant à notre mariage, — que c’était l’endroit où nous allions vivre ensemble. Je n’aurais pas voulu y entrer autrement qu’amenée par lui. Je rentrai, je lui écrivis une longue lettre que je portai ensuite à la boite des pneumatiques. Je lui disais que je ne sortirais plus que je ne l’eusse vu ou que je n’eusse reçu un mot de lui.

Le lendemain, aussitôt après déjeuner, j’envoyai Danielle