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sûrement venue me rejoindre avant l’invasion ; avoir de ses nouvelles, le voir peut-être quelquefois, le soigner s’il était blessé, le pleurer s’il était mort : c’était le supplice du regret, ajouté à celui de l’absence et de l’inquiétude. J’étais dévorée. Au commencement, je parlais tout le temps de mon chagrin à, maman. Mais il me sembla qu’elle n’aimait pas beaucoup Philippe et qu’elle ne regrettait pas vraiment que je ne fusse pas mariée. Dans la suite, je cessai de lui en parler.

Ce fut le 12 juillet, au matin, que notre vieille Danielle entra chez moi comme je m’habillais et me dit avec une figure bouleversée que maman était malade. Je courus chez maman, qui était très pâle, dans son lit, les traits tirés : elle me dit de ne pas m’inquiéter, mais d’aller avec Danielle à l’hôpital demander un médecin. Nous connaissions un peu un jeune major dont maman avait obtenu quelquefois la visite chez un malade pauvre.

J’y allai, le major vint à midi en sortant de l’hôpital ; maman voulut le recevoir seule. Il partit en disant qu’il reviendrait le lendemain et maman ne me donna aucune explication ce jour-là que je passai tout entier près d’elle. Le lendemain quand elle eut revu le major, elle me dit que c’était un cancer au sein. Elle l’avait laissé se développer en secret depuis deux mois : il ne pouvait y avoir aucun doute. Elle était d’un calme absolu. Elle me dit : « C’est une longue maladie, j’espère que je reverrai tes frères. » Moi, hélas ! je ne pouvais pas me contenir, je sanglotais comme une folle : cela lui déplaisait. Elle reprit cette expression sévère qui m’intimidait quand j’étais petite. Je ne peux pas me figurer qu’une sainte aille au martyre avec plus de force et de majesté. Et pourtant elle m’avait emmenée chez des gens qui avaient cette maladie-là, et nous savions toutes les deux ce que c’était. Elle continua de sortir encore quelque temps, et de se lever tous les jours, et presque jusqu’au milieu de novembre. A ce moment-là, un coup terrible brisa ses forces. Nous reçûmes une lettre de Jean qui venait d’être fait prisonnier et qui nous annonçait la mort de Max.

Ma pauvre maman ! On ne peut pas parler de ces choses-là ! Max avait été tué dès le début de la guerre, à la bataille de la Marne.

Jean disait aussi : « J’ai reçu un mot de Philippe un mois avant d’être pris. Il était au front et il allait bien. »