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— elle avec une figure de première Communion ; lui, oh ! lui, bizarre, charmant du reste, avec une expression à la fois voluptueuse et distraite, comme s’il jouissait non pas de l’heure présente, mais de quelque lointaine transposition de cette heure en musique ou en philosophie... L’image évoquait pour Adrienne les frais et forts parfums de la Pentecôte, et les rossignols du jardin de Mme Huleau.

Elle remit dans leurs enveloppes les lettres et les photographies, les posa sur sa petite table ; elle regarda son bébé qui, sous sa tente de mousseline bleue, les lèvres entr’ouvertes, semblait sucer le sommeil comme du lait ; une seconde, elle pensa au mystère de la croissance, à l’inexorable enchevêtrement de forces qui du dedans et du dehors pousse chaque être à son destin... elle soupira, éteignit sa lampe, essaya de dormir. Mais elle avait trop ouvert l’écluse des souvenirs et jusqu’au matin le bouillonnement du passé continua de bruire à travers son insomnie.


Le lendemain, comme elle rentrait en hâte à six heures, oppressée de tristesse, après avoir passé la journée au chevet de l’amputé, elle trouva Denise qui l’attendait assise au coin du feu dans le salon, — mince, modeste, provinciale, les mains jointes dans le creux des genoux.

Elle avait un air assagi, un maintien tranquille ; elle était devenue une jeune dame pareille à beaucoup d’autres de l’espèce menue et discrète.

— Denise, ma mignonne ! enfin, enfin ! tu es près de moi ! Laisse-moi ôter ton chapeau, tes gants ; que nous soyons ensemble comme autrefois ! Tu as froid, n’est-ce pas ? ce froid est affreux !... » Elle s’agenouilla pour remettre deux bûches dans le feu. Puis elle prit des mains de la jeune fille le chapeau noir et le voile de crêpe. « Oh ! ce noir ! dit-elle. Oh ! Denise, que j’ai de peine de te revoir ainsi ! » Elle courut ranger ce chapeau et enlever le sien dans le vestibule. « Oh ! toi, toi ! » murmurait-elle en étreignant son amie. Il lui semblait embrasser sa propre enfance et l’image meurtrie des tendresses et de la douceur d’autrefois. « Comme tu as maigri ! et tu ne me dis rien. Tu me brises le cœur... Mon Dieu, comme tu as souffert !... »