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— Encore Mlle Huleau ? demanda-t-elle d’une voix tendre.

— Oui.

Il y eut une seconde de silence. Mme Estier regarda le petit garçon qui avait laissé sa main dans le manchon de Mlle Huleau. Mais elle ne demanda plus rien.

— Je suis à l’hôpital toute la journée, reprit-elle, au mieux je rentre pour six heures : tu me resteras à diner...

La jeune fille secoua la tête. Mme Estier la prit dans ses bras et sentit frémir les minces épaules. « A demain, dit encore Denise Huleau avec un sourire plein d’une grâce humble et blessée. Comme tu es bonne, comme je vais être heureuse que tu m’aies trouvée ! » Puis elle se retourna vers le muet petit garçon, lui sourit aussi et l’entraînant, elle s’éloigna rapidement vers la Fontaine Médicis.

L’entrevue avait été si brève dans l’ombre du soir que Mme Estier aurait pu se demander si elle n’avait pas rêvé.

La nuit, dans sa jolie chambre de jeune mariée, où le berceau de son bébé était posé près de son lit, elle dormit mal. La pâle figure de la petite Nise lui apparaissait voletant décolorée parmi des feuilles mortes. C’était dans un bois où un amputé courait sur des béquilles, furieux et cherchant sa jambe. Elle se réveillait la tête pleine de confusion, le cœur étreint — et elle pensait : « Pauvre petite Nise, pauvre mignonne ! Est-ce qu’elle est vraiment seule dans la vie maintenant ? Son fiancé ? elle ne l’a pas nommé... il a dû arriver quelque chose... Et qu’est-ce que c’est que ce petit garçon ? » A peine s’assoupissait-elle que de nouveaux songes peuplaient son sommeil de chuchotemens douloureux : c’était Mme Huleau, blanche comme la cire, qui murmurait pendant qu’on la mettait en bière : « Faites bien attention à Nise ; » et Denise répondait d’une voix impatiente : « Ne dites pas cela, maman ; il n’y a plus personne pour faire attention à moi. Ah ! si ! les deux bouleaux dans le jardin. Pardonnez-moi, maman ! » et la voix s’éteignait dans un long soupir.

Vers deux heures, Adrienne Estier se leva, alluma sa lampe et alla ouvrir un petit secrétaire où étaient rangés quelques souvenirs de sa vie de jeune fille. Elle en sortit une enveloppe pleine de photographies et un paquet de lettres qu’elle ouvrit aussitôt recouchée. C’étaient les lettres que Denise Huleau avait écrites à son amie entre la dix-huitième et la vingt-troisième