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avec un sentiment nouveau, qui n’est pas précisément de l’admiration pour la beauté du paysage. Mais nos gardes-côtes et nos avions font bonne garde. A toute heure du jour et de la nuit, on entend ronfler les moteurs de nos sentinelles aériennes. Telle une cage géante, cette baie ou cette anse du rivage est toute bruissante de leur vol. On les voit planer très près du regard, avec leurs queues recourbées de monstres marins et leurs ailes d’oiseaux, — s’abaisser d’une brusque chute, raser le flot, s’y ébrouer dans des jaillissemens d’écume, comme de lourds albatros, puis remonter et se perdre dans l’espace. On ne les distingue plus, mais on est assourdi par l’immense vibration farouche que leurs hélices déchaînent par tout le ciel. Lorsqu’ils sont très nombreux, cette rumeur céleste a quelque chose d’un bruit panique, d’un tumulte sacré : c’est le grondement des sphères, tel que l’imaginaient les poètes et les métaphysiciens antiques. A de certains momens, on dirait une marche héroïque ou nuptiale, jouée là-haut, sur des orgues géantes, par un musicien de l’Azur. Et, tandis que le fracas de la grande phrase mélodique se déroule à travers l’étendue, les maîtres dépossédés de ces régions aériennes, les oiseaux du ciel, s’enfuient devant les oiseaux de la terre, en longues files affolées, comme chassés en déroute par le battement des ailes de la Victoire...

A ces hydravions, dont le rayon de surveillance est forcément assez restreint, on a dû joindre d’autres moyens de défense et d’attaque encore plus efficaces. Parmi ces moyens d’action, nos Alliés se sont chargés d’en fournir quelques-uns. Par exemple, ce n’a pas été une mince surprise pour la population marseillaise, que de voir des torpilleurs japonais jeter l’ancre dans le port, tandis que des cargos nippons continuaient à stationner derrière les môles de la Joliette. Ces navires de chasse ont déjà fait de bonne besogne contre les sous-marins germaniques. Ils sont aussi, pour des yeux attentifs, un des spectacles les plus suggestifs et les plus stimulateurs d’énergie morale, que nous ait donnés cette guerre.

En tout cas, l’attention du peuple de Marseille est vivement frappée par la présence de ces torpilleurs. Deux fois par jour, matin et soir à l’heure du salut au drapeau, des foules s’amassent le long des quais, avides de contempler les élégans navires, aux poupes arrondies, aux carènes luisantes et nettes comme