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de leurs officiers parlent notre langue bien plus correctement que l’anglais.

Avec leurs belles barbes en éventail, leurs turbans aux cache-nuques largement étalés, tout leur accoutrement d’Orientaux, les Hindous ont fini par se fondre dans la vieille couleur locale marseillaise. Aujourd’hui, on remarque à peine leur présence. Mais, au début de la guerre, lorsque des régimens entiers débarquaient à la Joliette, lorsque, en files interminables, ils traversaient la Cannebière et le Cours Belsunce, avec leurs fourgons, leurs mitrailleuses, leurs lourds camions automobiles qui ébranlent les pavés, ce fut, pour le patriotisme provençal, un réconfort inoubliable : la puissance de l’Empire britannique était à nos côtés. Et voici qu’en constatant la force de nos amis et alliés, on s’aperçut d’une chose, qu’on n’avait pas assez remarquée jusque-là, dont on n’avait pour ainsi dire pas conscience : la force de l’Empire français. Après que nos colonies africaines et asiatiques eurent déversé sur les quais de Marseille de véritables armées, des troupeaux de bêtes de somme et de boucherie, des tonnes de vivres et de marchandises, nous ne pouvions plus douter de nous-mêmes ni de nos ressources. Nous prîmes une première idée confuse de notre grandeur réelle, comme de notre grandeur possible. Sur près de quatre millions d’hommes qui sont passés ici depuis le début des hostilités, trois millions sont des soldats français.


A mesure que la guerre sous-marine s’intensifie, ce déploiement de force, — non seulement préventive, mais offensive et défensive, — s’amplifie et s’accentue d’un bout à l’autre du front de mer méditerranéen. Il devient aussi actif, sinon aussi meurtrier, que le front terrestre occidental. Partout, l’image de la guerre est présente. A ceux qui seraient tentés de l’oublier, les campemens et les hôpitaux disséminés sur tout le littoral auraient tôt fait de la rappeler. Même dans les villes hivernales, villes de paresse et de plaisir, où il semble que l’on devrait être à l’abri de l’effervescence belliqueuse, il faut prendre sa part des gênes et des tribulations civiques, qui s’imposent à tout le pays.

Comme au temps des pirates barbaresques et des soudaines agressions sarrasines, on tourne les yeux vers la haute mer