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Prado. Le grand Palais et la Galerie des machines offraient des baraquemens tout trouvés, mais qu’il était indispensable de remettre en état et d’approprier à leur nouvelle destination : des dortoirs, des réfectoires, des cuisines avec leurs dépendances durent être aménagés en toute hâte. Mais ces locaux étaient loin de suffire. On construisit autour une véritable cité africaine et orientale, alignement géométrique de baraques en planches et en briques. Pour cela, il devint nécessaire de bouleverser l’emplacement, de raser des pelouses, de combler des excavations et des tranchées, de niveler un sol profondément raviné. L’officier supérieur chargé de cette tâche s’en acquitta à merveille. Aujourd’hui, grâce à ses soins, l’Exposition de Marseille est redevenue le Palais des Nations.

Ces casernemens ouvriers du Prado, qui peuvent contenir près de huit mille hommes, sont traversés par un perpétuel va-et-vient de travailleurs cosmopolites, que l’on dirige vers tous les points du territoire où leur concours est nécessaire. Il y a là des Annamites, des Chinois, des Tunisiens, des Algériens, des Marocains, des Sénégalais. On y a même vu des Canaques jusqu’à ces derniers temps, mais on a dû renoncer aux services par trop défectueux de ces Océaniens. En tout cas, on remarque toujours, parmi ces troupeaux d’Asie et d’Afrique, des Européens très bruns, l’air vigoureux et intelligent, qui portent l’uniforme français avec un léger signe distinctif : ce sont des déserteurs bulgares. On les emploie, au dehors, à des travaux dont il vaut mieux ne rien dire et dont ils s’acquittent à la grande satisfaction de leurs chefs. La plupart montrent une bonne volonté méritoire et font tous leurs efforts pour apprendre le français. Il en est de même de nos ouvriers kabyles, lesquels passent pour les meilleurs de tous. Ceux-là s’acclimatent facilement chez nous, s’adaptent sans trop de peine à la vie de nos paysans. J’ai pu causer avec l’un d’eux, qui arrivait de la Beauce, où il avait travaillé toute une saison dans une exploitation agricole : il parlait couramment le français et se déclarait enchanté de son séjour. Beaucoup de ses compatriotes sent comme lui. On m’assure que les lettres qu’ils expédient régulièrement dans leurs douars, — très nombreuses, ce qui dénote une certaine culture généralisée, — sont au moins aussi souvent rédigées en français qu’en arabe. Tout cela est de bon augure. Le Kabyle, si on l’encourage avec persévérance, peut