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Ces services, laborieusement organisés, ont leur pendant chez nos alliés britanniques. A côté de nous, les Anglais occupent leurs môles et leurs hangars particuliers, leurs quais d’embarquement et leurs entrepôts. Les mêmes ouvriers cosmopolites sont employés de part et d’autre aux manipulations. Mais il a fallu les encadrer de vieux dockers marseillais : on n’improvise pas plus un portefaix qu’un commandant d’armées, — cela soit dit en passant pour les fauteurs d’une chimérique mobilisation civile ! En général, ces Orientaux sont de fort médiocres manœuvres. Un sous-officier qui commande une escouade de ces dockers asiatiques et qui est un véritable contremaître, me faisait remarquer leur paresse, leur négligence, leur tempérament peu débrouillard, et il classait ainsi ses subordonnés par ordre de valeur : tout en bas de l’échelle, l’Annamite, puis le Chinois, le Marocain, le Tunisien, l’Algérien, enfin, au sommet de la hiérarchie, le prisonnier allemand. On constatera que, chez ces travailleurs, les aptitudes professionnelles augmentent, selon leur degré de culture ou d’adaptation européenne. Il est tout naturel que, parmi eux, l’Allemand, en sa qualité d’Européen, manifeste une certaine supériorité. Il lui est facile d’être supérieur à un Annamite ou à un Marocain débarqué du bled. Autrement, il en prend à son aise, comme on dit : il ne peut pas se plaindre d’être écrasé de travail. Et il faut le surveiller sans cesse, car le sabotage n’a point de secrets pour lui : il a tôt fait de déchirer l’étoffe d’une culotte ou de donner un coup de couteau dans l’empeigne d’un soulier.

Est-il besoin de l’ajouter ? Ces prisonniers sont très humainement traités. Que la presse germanique n’essaie pas de nous calomnier aux yeux des neutres ! Souhaitons seulement que les nôtres aient, en Allemagne, une vie aussi douce que les prisonniers allemands, chez nous ! J’ai visité en détail un de leurs campemens : j’ai été émerveillé de la propreté et, autant qu’on peut le leur donner, du confort de leur installation. Pour tous les visiteurs impartiaux, il n’y a qu’un cri :

— Ils sont mieux que nos soldats !

J’assistai au retour d’une équipe, qui rentrait du travail, après une journée torride. Tous portaient de larges chapeaux de paille, dont les bords leur couvraient presque complètement