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exige et de ce qu’il coûte. Annamites, Chinois, Marocains, Espagnols, Grecs et Yougo-Slaves travaillent pour l’armée d’Orient. On lui envoie de la farine, de l’avoine, de l’orge, du maïs, des affûts de mitrailleuses, des caisses d’obus, des fers pour les mulets et les chevaux, des clous à ferrer, des pointes et des varlopes pour les menuisiers, — sans oublier le vermouth et le tabac pour la consolation du poilu. Une longue file de hangars, — qu’on appelle les « ilots de la Chambre de Commerce, » — est occupée par les services de l’habillement et de ses annexes. Plus de vingt-cinq millions d’effets sont passés par les planches de ce dépôt, depuis le commencement des hostilités : uniformes de chasseurs à cheval, de fantassins, d’alpins, de zouaves et de turcos, dolmans, culottes et ceintures sont là empilés sur des rayons qui s’étagent jusqu’au toit. Chaque mois, le tiers de ces provisions doit être renouvelé. Après cela, les fournitures de toutes sortes, que le dénuement et l’insalubrité des régions orientales rendent indispensables : des toiles de tentes avec leurs supports, sont expédiées par ballots, des moustiquaires, qu’on nomme des « tombeaux, » et qui recouvrent tout le corps du patient, comme sous une carte pliée en deux. Et l’on voit encore, dans ces magasins, des machines à coudre pour les tailleurs de régimens, des rasoirs et des blaireaux pour les coiffeurs, des tas de bûches et de charbon pour la cuisine. Plus loin, des amoncellemens de planches et de planchettes, voire des rondins pour le soutènement des tranchées...

Après avoir ainsi prodigué toutes ces fournitures par milliers et par millions, on s’évertue ensuite à en sauver, à en récupérer le plus qu’on peut. Préalablement désinfectés pour la réexpédition et passés à l’étuve dès l’arrivée, des ballots de vieux pantalons et de vieux vestons kakis reviennent à leur point de départ. On les trie, on les détache, on les lave et on les ravaude de façon à les rendre encore utilisables. Des montagnes d’effets usagés se déploient dans des locaux particuliers. On y entrevoit des cavernes, on y longe des falaises de vieux souliers, de harnais, de cuirs de tout genre. Comme les habits, tout cela est trié, nettoyé, assoupli, remis à neuf. Le rebut est vendu à de rapaces trafiquans qui, grâce à d’ingénieuses préparations ou à d’astucieux maquillages, en extraient les chaussures qui s’achètent soixante francs la paire chez les cordonniers élégans.