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rotonde, aux voûtes et aux murailles peinturlurées et dorées, encombrée de toute une flore artificielle et de toute une statuaire sicilienne ou napolitaine. Un Christ de grandeur naturelle, aux plaies livides et saignantes, aux genoux couverts d’ecchymoses, est suspendu derrière la porte, près du bénitier... Soudain, la porte s’ouvre d’une poussée brusque et violente. Une vieille femme, complètement vêtue de noir, une mère ou une grand’mère de soldat sans doute, se précipite à genoux devant le crucifix, le buste élancé en une supplication muette, les mains jointes avec une tension si fervente des doigts extraordinairement allongés, les yeux levés avec une telle ardeur de prière, que cette pauvresse égale en beauté et en noblesse d’attitude les Mères de Douleur les plus illustres. Puis, elle se prosterne, elle baise la terre, et soudain, avec une pieuse familiarité, elle se relève, s’accroupit sur ses talons, s’installe comme chez elle, et, le menton dans la paume de la main, les yeux dardés vers la Tête couronnée d’épines, elle Lui parle, elle Lui conte toute sa souffrance à elle...


Ces contrastes, ces foules mouvantes et bigarrées, ce bariolage amusant ne doivent pas nous faire perdre de vue les dessous du décor, — l’importance capitale de Marseille, lieu d’échange et de passage, base militaire de notre défense en Méditerranée. Ni l’opinion ni nos dirigeans n’avaient prévu cette importance. Il a fallu la force des choses, le déroulement automatique des circonstances pour imposer des notions qui auraient dû être présentes et précises depuis longtemps dans les esprits de ceux qui nous conduisent. Je me souviens qu’en 1914, comme je parlais de Marseille au directeur d’un de nos plus considérables magazines, celui-ci haussa les épaules, en me disant : « Marseille ? c’est trop loin du front ! » Personne ne soupçonnait alors que Marseille commande notre front de mer, lequel est au moins aussi nécessaire que l’autre, attendu qu’il assure, pour une très grande part, notre subsistance, nos ravitaillemens en hommes, en vivres et en munitions, nos communications et celles de nos alliés avec nos possessions africaines et asiatiques. Une pareille erreur a été commise au sujet de la Grèce et de l’Espagne. Avant même d’avoir visité ces deux pays, il suffisait d’y appliquer un instant sa réflexion,