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point seulement Porte de l’Orient, mais grande Porte mondiale, est liée dans mon souvenir à l’image riante et splendide de toute une jeunesse studieuse, enivrée d’art et de poésie, gais compagnons qui s’élançaient avec tant de confiance vers un avenir renouvelé, et dont beaucoup déjà sont morts dans les batailles de cette dernière guerre. Quelques-uns furent mes premiers élèves : c’est un honneur et un pieux devoir pour moi que de les commémorer au seuil de ces pages à la gloire de Marseille et de la Provence.

Parmi ces visages, maintenant plus que virils, émerge d’abord, pour moi, celui de leur chef de chœur à tous, — de Joachim Gasquet, poète et dramaturge, le tempérament lyrique le plus vigoureux et le plus complet que je connaisse depuis Banville et depuis Hugo lui-même. Je songe à lui avec orgueil et attendrissement. Lorsque je l’avais pour élève au lycée d’Aix, sa ville natale, je sortais de l’Ecole normale ; je n’avais jamais connu de poètes que dans les livres. Et voilà que, sous la figure de ce jeune homme de quinze ans, la poésie vivante venait au-devant de moi, portant sur son front tous les signes et toutes les promesses du génie adolescent. D’instinct, je l’aimai aussitôt comme un frère plus jeune, parce qu’il m’offrait déjà réalisé et épanoui tout ce qu’on avait comprimé et presque atrophié chez moi. Je sentais en lui les mêmes richesses intérieures, une force, une fougue, un jaillissement, lyrique, que ni les duretés de la vie, ni les austérités chagrines de la discipline scolaire n’avaient jamais contrariés. Je l’aimais surtout parce que je croyais deviner en lui la génération qui referait la France. Lorrain, vivant à deux pas de la nouvelle frontière, faisant chaque année de longs séjours dans nos provinces annexées, je voyais, par comparaison, que notre pays était bien malade, malade faute de volonté, d’énergie persévérante, d’audace, d’esprit d’entreprise, de sentiment de sa grandeur et de toute grandeur. Or ces instincts vitaux, je les trouvais impatiens de s’affirmer et de resplendir chez ce jeune poète aixois. Sans en avoir précisément conscience, je lui donnais le conseil que Ferdinand Bac prête à un vieux seigneur de l’ancienne France disant à son fils : « Souvenez-vous de faire grand, dussiez-vous y périr ! » Nul n’était mieux préparé que Gasquet pour écouter de telles suggestions. Nous nous exaltions alors dans un même culte pour la Vie, la Lumière, symbole de la vie