Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MARSEILLE
PENDANT LA GUERRE


10 mai 1917.

Dans le train, qui m’amène de Nice à Marseille, nous sommes un grand nombre debout, tout le long du couloir, envahi par les soldats et les officiers permissionnaires. Et la prise de possession du convoi par les foules militaires continue à toutes les stations importantes : il en monte à Antibes, à Cannes, à Saint-Raphaël, à Fréjus, à Toulon, par colonnes profondes, par groupes compacts, par vagues d’assaut. On se bouscule, on se serre, on se tasse comme on peut. A mes pieds, un jeune fantassin, écrasé de fatigue et de sommeil, est assis sur son derrière, la tête appuyée contre sa musette en guise d’oreiller. De l’autre côté, un aspirant de marine ne sait quelle posture prendre, pour caser son long corps. Près de lui un monsieur à décoration et à beau pardessus fait une tête austère au milieu du vacarme formidable qui emplit tout le wagon.

Derrière nous, comme dans le couloir, tout est bondé. Des matelots, des fusiliers marins, retour de Salonique, — parmi lesquels beaucoup de Bretons, — se prélassent sur les coussins des premières classes. Oubliant les transes et le harassement d’une traversée longue et mouvementée, ils sont comme pris d’une ivresse à la pensée de revoir bientôt le pays. Ils parlent, ils crient avec une sorte d’exaltation. Ils paradent aussi pour les femmes, en contant leurs alertes ou leurs exploits. Il y a là