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bataille de la Marne m’apparaissant comme une belle tragédie classique, celle des Flandres serait plutôt un passionnant drame romantique.

Ce qui ajoute à ce caractère, c’est l’étrange pêle-mêle d’élémens qui, du 15 octobre au 15 novembre, prennent part à cette mêlée. Tandis qu’à la Marne notre armée active et nos divisions de réserve presque seules, — l’armée britannique ne comptant alors que trois corps, — s’affrontent aux Allemands, c’est, en Flandre, un étrange mélange de troupes, d’armes, de races et même de couleurs. Les Anglais, grossis d’éléments coloniaux et d’abord des Hindous, occupent les abords d’Ypres l’Yser est tenu par les Belges, descendans de ces gens des communes de Flandre et de Wallonie qui, dans des siècles passés, tenaient tête aux princes et aux rois ; et tandis que le maréchal French et, sous lui, sir Douglas Haig, veillent à lai « bataille anglaise, » c’est le roi des Belges, Albert Ier, qui, de Furnes, commande les troupes de sa nation. Le général Foch enfin, et bientôt, sous lui, le général d’Urbal, dirigent la bataille française, enchevêtrée d’ailleurs aux batailles anglaise et belge. Mais notre armée elle-même présente un caractère singulièrement plus composite qu’à la Marne : les territoriaux du général Bidon, les fusiliers marins de l’amiral Ronarc’h y jettent une note nouvelle ; on verra des goumiers marocains en pleins polders, des bataillons sénégalais soutenir les marins. Et lorsque les monitors de la flotte britannique et les contre-torpilleurs français seront venus, devant les Dunes, prolonger la bataille, on se fera une idée du caractère étrange et, répétons-le, romantique de ce drame dont un survivant me disait : « C’était, de la Lys à la mer, la tour de Babel, — sauf qu’on s’y entendait fort bien. »

On s’y entendra, — j’y reviendrai lorsque, à la fin de cette étude, je chercherai à dégager les causes du succès et les conséquences de l’action. On s’y entendra parce que tous ces soldats de toutes les races, de toutes les couleurs, de tous les bans, de toutes les armes communient dans une égale résolution : empêcher à tout prix l’Allemand de passer. Des Français qui entendent préserver d’une nouvelle invasion le sol de France, aux Anglais qui ont conscience de couvrir lointainement, avec Calais derrière Ypres, le seuil de leur maison, et aux Belges accrochés au dernier morceau de la leur, tous sentent battre