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l’Allemagne tout d’abord isolerait, — ou presque, — de son île, le corps expéditionnaire anglais. Mais qui sait même si, maîtresse de la cote, elle ne parviendrait point, — quels projets paraissent fabuleux à la mégalomanie germanique ? — à réaliser cette expédition d’Angleterre que Napoléon a projetée et crue possible, Napoléon dépourvu de sous-marins, d’avions et de canons à longue portée. En tout cas, saisir Dunkerque, Calais, Boulogne, c’est proprement étrangler l’Entente ; c’est, avant même sans doute que l’exécution ait à suivre, faire capituler Albion Rêvant une formidable menace. L’Allemagne marche nach Cales avec autant d’exaltation que naguère elle marchait nach Paris. Car elle entend frapper tout à la fois Paris et Londres, — en achevant, chemin faisant, la Belgique : « Hourrah pour la grande Allemagne, s’écrie un soldat allemand au début de la bataille. Hourrah ! nous allons conquérir le monde [1] ! » Et, à la même date, le Kronprinz de Bavière, commandant de Douai la VIe armée, dit à ses soldats : « Le moment est arrivé où la VIe armée doit amener la décision des rudes combats qui durent depuis des semaines à l’aile droite de l’armée allemande... En avant donc sans arrêt jusqu’à ce que l’ennemi soit complètement abattu ! »

Non seulement des forces importantes seront prélevées sur le front allemand, maintenant stabilisé de la Meuse à la Somme, non seulement l’armée d’Anvers dévalera sans perdre un jour sur l’Yser, mais des corps nouveaux, fiévreusement et secrètement forgés au fond de l’Allemagne, seront soudain jetés, qui achèveront la déroute par le double effet de la surprise et de la masse. Et de fait, sous l’effroyable poussée, d’abord sur le front de l’Yser, ensuite sur le saillant d’Ypres, l’armée alliée paraîtra à plusieurs reprises fléchir : l’Empereur arrivera derrière ses guerriers, prêt à faire dans Ypres, dans Dunkerque, dans Calais, l’entrée solennelle que Paris ni Nancy n’ont vue.

Toujours, cependant, la ligne des alliés se refermera devant lui.

C’est que, précisément, nous avons pour résister là des raisons tout aussi fortes que l’Allemagne peut en avoir pour attaquer. Sans doute, le haut commandement français, d’accord avec l’État-major britannique, entend-il, au début, non seulement

  1. Deutsche Krieg in Feldpostbrief, I, p. 235 citée par M. Albert Pingaud dans la Revue du 1er décembre 1916.