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III. — L’ENJEU ET LES TRAITS DE LA BATAILLE

Les Allemands, eux, voyaient, dans ce champ clos, en octobre 1914, un avenir plein de promesses.

Ils venaient de s’emparer d’Anvers et leur absolue confiance dans la « victoire allemande, » à peine ébranlée le soir de la Marne, s’en augmentait jusqu’au paroxysme. Sans doute, un accident malheureux, pensaient les chefs, leur avait fermé, — momentanément, — le chemin de Paris, mais tout chemin mène à Paris et, si on ne pouvait forcer la barrière que les Français achevaient d’élever de Thann à Arras, on la pourrait sans doute tourner. C’était le but primitif de la manœuvre, et il ‘eût certes suffi à surexciter les courages. Mais depuis qu’ils venaient de balayer de la Belgique le gouvernement et l’armée qui (j’emprunte les termes à vingt articles) « avaient osé leur résister, » les Germains ne connaissaient pas de bornes à leur orgueil. Et, c’était, — peut-être surexcitée encore, — la mentalité monstrueusement outrecuidante que j’ai décrite chez les Allemands courant, — à la fin d’août, — sur l’Ile-de-France et la Champagne [1]. Ils entendaient que la dépossession du roi des Belges fût totale, — et complète l’exemplaire exécution des « coupables. » Pas un coin de terre ne devait rester à Albert Ier et, après Liège, Bruxelles, Anvers, Bruges, Gand, le pays d’Ypres et de Furnes devait être occupé, — dernier lambeau du royaume piétiné. Ce serait le premier acte et le premier résultat de la victoire, — si tant est que les Belges en déroute « osassent » encore lutter sur ce dernier morceau de leur sol national. Même étayés par des Anglais et des Français, — et ils ne pouvaient l’être que faiblement, — ils seraient écrasés entre Nieuport et Dixmude et livreraient le passage.

C’est alors Dunkerque menacé, assiégé, bientôt pris comme l’avaient été Liège, Namur, Maubeuge, Anvers. Et après Dunkerque, c’étaient Calais, Boulogne. Car le grand dessein déjà se trahissait dans la presse officieuse et jusque dans les propos des hommes d’Etat : la Bataille pour Calais, c’est ainsi que l’Allemagne baptisera l’assaut qui, du 16 octobre au 15 novembre, se déchaînera. Se jetant sur le littoral du Pas de Calais,

  1. La victoire de la Marne, dans la Revue du 15 septembre 1916.