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REVUE LITTÉRAIRE

LES AMOURS D’UN PHILOSOPHE [1]

On éprouve assez souvent quelque scrupule à raconter les amours des grands hommes, à chercher dans les archives les traces de leurs plaisirs et de leurs chagrins, à lire leurs billets doux et aigres-doux, à ne pas leur laisser, pour les alarmes de leurs tendresses défuntes, ce dernier repos qu’est l’oubli. Cependant, ces grands hommes, nos maîtres dont l’influence continue très longtemps après eux, n’est-il pas vrai que nous ayons à les juger ? Ils s’imposent à nous : de plusieurs manières, nous dépendons et de ce qu’ils ont pensé ou affirmé jadis et de ce qu’ils ont valu. Nous dépendons de leur génie ; mais ils dépendent de notre estimation légitime.

Et, quant à celui-ci, dont l’histoire amoureuse vient d’être examinée avec un soin très attentif, Auguste Comte, il ne demandait pas l’oubli et il n’a pas donné aux biographes et commentateurs l’exemple de la discrétion. Mme de Vaux, qu’il aima, il a prétendu que l’univers la connût à merveille et lui décernât des honneurs religieux. Il y a de ces poètes qui, dans leurs vers, ne dissimulent pas beaucoup leur bien-aimée : mais ce philosophe, lui, affichait la sienne avec tant d’exubérance qu’on n’évite guère de trouver en lui du roi Candaule ; et, son Gygès, ce fut, en somme, l’Humanité. Alors, tant pis pour lui ! Tant pis pour elle ? On n’oserait le dire : elle eut de la réserve et de la pudeur. Mais, pour elle, le mal est fait, depuis longtemps, par son adorateur extrêmement bizarre. Et la vérité, on le verra, est favorable à son souvenir.

  1. L’amoureuse histoire d’Auguste Comte et de Clotilde de Vaux, par Charles de Rouvre (Calmann-Lévy).