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d’avoir aimé Edith trop peu et trop mal ; il ne se reproche pas d’avoir été son amant. Vivant, il eût gardé Edith ; mourant, il la renvoie à son mari. Ce mari est un homme avec qui on ne se gêne pas. Tel que nous le connaissons, il ne pourra manquer d’accueillir Edith. Les deux époux se réconcilieront dans le culte du héros mort. Désormais Génois sera celui dont on ne prononce le nom dans la maison qu’avec un respect attendri : il sera le parent dont on garde pieusement dans une famille la noble mémoire. Il est la gloire de ce ménage à trois.

L’Élévation est une pièce adaptée au cadre de la guerre : ce n’est pas encore et ce n’est en aucune manière une pièce de ce théâtre « né de la guerre » que nous souhaitons et qu’on nous donnera certainement quelque jour. Il y faudra non pas quelques touches nouvelles, mais un renouvellement foncier. Il faudra que les auteurs de demain brisent résolument un moule qui apparaît bien mesquin dans l’immensité des événemens d’aujourd’hui, et qui n’est plus à l’échelle de notre tragique époque. Il ne sera pas nécessaire qu’ils parlent de combats et de bombardemens, de tranchées et de fils de fer barbelés ; et même il vaudra mieux qu’ils n’en parlent pas. Ces visions du champ de bataille, dont nous savons tous l’atroce réalité, nous choquent, évoquées sur les planches entre cour et) jardin. L’influence de la guerre sur le théâtre devra être profonde, intime, continue, tout en étant une influence indirecte. Les faits de la guerre ne seront pas mis à la scène matériellement et dans leur détail ; mais sur tout ce théâtre planera l’image de la guerre. Ce qu’il faut, c’est une autre atmosphère. Ce qu’il faut surtout, c’est un théâtre qui ne soit pas consacré exclusivement à l’éternelle petite histoire d’alcôve. Après comme avant l’Élévation, il n’y a rien de changé dans notre théâtre : il n’y a qu’une pièce de plus sur l’adultère. Adultère et Patrie.

L’interprétation est excellente. L’honneur en revient surtout à Mlle Piérat. Elle a été, dans le rôle d’Edith et comme le voulait le rôle, ardente, vibrante, passionnée, volontaire et douloureuse. Un jeu sec, mais net et en relief. C’est une création des plus remarquables. M. de Féraudy a joué en grand comédien, avec un art consommé, le rôle de Cordelier qui exigeait du tact autant que de l’émotion. M. Grand, au troisième acte, a été un peu trop gémissant pour un si brave soldat.


RENE DOUMIC.