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et de suggestion qui le met entièrement à la merci de l’auteur.

Après ces deux actes fiévreux, et en opposition avec eux, le troisième est un acte de détente et d’apaisement. Edith est à l’hôpital, auprès du lit de Génois grièvement blessé. Il va mourir, il le sait, et il lui dicte ses dernières volontés. Il lui dit la conscience nouvelle que lui a faite le champ de bataille, et qu’il n’a commencé à aimer vraiment la jeune femme que du jour où la guerre l’a révélé à lui-même, et qu’il est heureux d’avoir fait pour son pays le grand sacrifice, et que maintenant Edith doit vivre et garder son souvenir, mais non porter son deuil et qu’elle doit retourner chez son mari. Cet acte est moins un acte qu’un épilogue. C’est le testament d’un mourant, une sorte de lamentation dans le goût antique... M. Bernstein, qui sait admirablement le théâtre, a voulu donner à sa pièce une conclusion dénuée de tout artifice scénique et terminer le drame en méditation.

Voilà donc une pièce très bien faite. Mais j’y ai vainement cherché ce que le titre semblait annoncer et que l’auteur a sans doute voulu y mettre. Car où est, dans toute cette affaire, l’ « élévation ? » Je vois bien que le mari, en devenant une sorte d’ange gardien des amours de sa femme, s’élève à des hauteurs séraphiques. Mais c’est lui, ce grand honnête homme, qui avait le moins besoin de s’élever. Toute sa vie n’a été consacrée qu’au travail, au devoir, au dévouement. En lui conseillant de s’élever encore, de s’élever au-dessus de lui-même, on risque de faire de lui une sorte de surhomme : profession aujourd’hui disqualifiée, made in Germany, et qui marque mal. A vouloir faire l’ange, on fait la bête : il y a longtemps qu’on l’a dit et cela peut s’entendre en toute sorte de manières. En revanche, Edith et Louis de Génois auraient, eux, quelques progrès à faire. Ils auraient à s’examiner eux-mêmes et à se juger. Edith a trompé le meilleur des hommes pour un bellâtre ; Génois a, par pur libertinage, brisé un foyer : on peut imaginer une conception du devoir plus élevée. Mais vous savez de reste que dans ce genre de pièces c’est l’usage de donner au mari d’excellens conseils, et de ne faire aux amans aucuns reproches. On invite le mari à s’élever au-dessus de vaines contingences ; mais ceux qui l’ont trahi, humilié, torturé, on trouve tout naturel qu’ils n’en aient ni honte, ni repentir, ni remords. J’entends bien que Génois s’est battu avec courage ; il va mourir pour son pays ; c’est très beau et nous nous inclinons devant sa bravoure, mais ce n’est pas la question. L’élévation, pour Génois, aurait consisté à comprendre qu’il a commis une mauvaise action en prenant la femme d’un autre. Pas un instant cette idée ne l’effleure. Il se reproche