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possession d’elle-même. A la voir ainsi agitée, fébrile, étrange, plus qu’étrange, Cordelier, très intrigué, très ému, sent grandir en lui une inquiétude ; il la presse de questions : « Tu trembles pour quelqu’un... Tu as un amant... Qui ? » Edith ne cherche pas à nier. Elle ne met dans sa confession ni honte ni forfanterie. C’est une femme d’une psychologie peu compliquée. Elle ne fait nulle difficulté d’avouer qu’ayant deux ou trois fois rencontré dans le monde un beau jeune homme parfaitement nul, elle l’a tout de suite aimé, non pour l’esprit qu’il n’a pas, non pour les belles actions qu’il n’a pas faites, mais pour son beau physique. Son nom ? Louis de Génois. Cordelier se met fort en colère : qu’eussiez-vous fait à sa place ? Mais presqu’aussitôt il s’avise que l’extrême différence d’âge entre sa femme et lui est pour Edith une sérieuse excuse ; il n’aurait pas dû l’épouser ; et, à prendre les choses d’une certaine manière, les premiers torts sont de son côté. Au surplus, c’est la guerre. Devant le grand drame public les drames intimes doivent s’effacer. Jusqu’à la fin de la guerre, le ménage gardera les apparences : Cordelier dirigera un hôpital, Edith y servira comme infirmière...

Telle est la situation, et elle est très bien posée. Ce qui en est tout à fait frappant, c’est qu’elle désigne à nos sympathies un personnage et un seul. De tous les êtres qui viennent de nous être présentés, il y en a un qui aime, qui vit par le cœur, qui tremble pour un autre : nous ne voyons, nous ne connaissons qu’Edith, ses craintes, ses inquiétudes, son trouble nerveux qui passe en nous.

Second acte. Quelques mois après. Edith se dépense auprès des blessés avec une frénésie de dévouement. Elle excède ses forces. Cordelier lui conseille un mois de repos. Arrive un télégramme : Louis de Génois blessé, transporté dans un hôpital du front, appelle Edith. Aussitôt le parti d’Edith est pris : Louis de Génois l’appelle, elle vole à l’appel de Louis de Génois. Mais Cordelier prétend l’empêcher d’aller à ce tragique rendez-vous : si elle quitte le domicile conjugal dans ces conditions, elle n’y rentrera pas. Cette opposition, que jamais, au grand jamais, elle n’avait prévue, et qui révolte son esprit simpliste de femme passionnée, exaspère Edith. Il y a toujours dans les pièces de M. Bernstein un moment où l’un des personnages se jette sur l’autre et le secoue fortement, en paroles quand ce n’est pas en action. Attendons-nous à une brusque explosion de violence, à une tempête de reproches. Ce n’est pas, bien entendu, Cordelier qui reproche à sa femme de rompre la trêve et de dénoncer le pacte conclu entre eux. Non. C’est Edith qui, hors d’elle-même,