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un peu naïves des internationalistes russes. Tout de même on peut noter d’inquiétans symptômes. Le ministre de la Guerre, M. Goutchkoff, vient de déclarer que : seront considérés comme déserteurs tous les hommes qui n’auront pas regagné leur régiment le 15 avril. Cet ordre a eu surtout pour effet d’encourager les timides à se donner quelques jours de congé : « Nous reviendrons pour le 15 avril ! » disent-ils. Pendant ce temps, l’Allemagne, beaucoup moins persuadée que nous de « l’enthousiasme irrésistible des armées révolutionnaires, » retire ses divisions du front russe pour les jeter sur le front occidental et arrêter la magnifique offensive franco-anglaise !...

Je vis parmi des officiers de marine. Il n’est pas de jour où il ne vienne s’en asseoir un ou deux à la table de mon amie. Quelques-uns sont de Pétrograd ; d’autres arrivent de Cronstadt, de Réval, d’Helsingfors. Leur tristesse et leur découragement sont profonds. La marine russe, faible au début des hostilités, a travaillé à se constituer pendant la guerre. Elle pouvait s’estimer fière des résultats. Deux jours de désordre ont presque réduit tant d’efforts à néant... Vite, on s’est mis à l’œuvre pour réparer de si irréparables dommages, Les ministres, MM. Goutchkoff et Kérensky, multipliant les visites et les démarches, font appel au patriotisme des marins, à l’activité de tous les chantiers. Les dégâts matériels seront réparés, mais que de temps avant que l’impression morale s’atténue ! On prête aux Allemands l’intention de tenter un débarquement sur les côtes baltiques. Les glaces du golfe de Finlande craquent de toutes parts. Bientôt entre l’ennemi et la capitale il ne restera d’autre barrière que le courage et le patriotisme des marins. C’est à cette épreuve que la Russie les attend. Que ne pardonnerait pas la patrie sauvée ?...

Les socialistes anglais et français sont arrivés. On espère beaucoup de leur influence sur les socialistes russes. J’ai assisté à la réception qui leur a été faite au Congrès des Troudoviki (7 avril). J’étais dans la salle bien avant eux. Je tenais à m’imprégner de l’atmosphère ambiante, à voir ce que leur présence y ajouterait. En arrivant, je croise deux députés paysans de la Douma, exilés en Sibérie au début de la guerre. L’un porte la chemise russe, la roubachka, serrée à la taille par une ceinture et retombant de quelques centimètres au-dessous. L’autre est vêtu d’un armiak gris. Ses longs cheveux plats,