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et sans interruption au Palais de Tauride. Tout est à réorganiser dans ce vaste empire, et à réorganiser en pleine invasion, avec une population mâle terriblement amoindrie. La tâche est rude. Seuls des Titans en pourraient assumer la responsabilité sans trembler. Les ministres de la jeune révolution russe sont, heureusement, ce que la nation compte de meilleur, de plus actif, de plus désintéressé et aussi de plus sage. Pendant les trois années de guerre qui rendirent si ardente leur lutte contre l’incapacité du gouvernement aujourd’hui déchu, ils ont pris, en même temps que l’habitude des affaires et du pouvoir, un contact intime avec le peuple et acquis une exacte connaissance de ses tendances et de ses besoins. Si les partis extrêmes ne l’emportent pas sur eux, on peut attendre beaucoup de l’avenir du peuple russe.


UNE INTERVIEW DE M. MILIOUKOFF

Coup de téléphone. Le secrétaire du ministre des Affaires étrangères me fait savoir que le ministre, de qui j’ai sollicité une interview, me recevra ce jour même, à une heure et demie. Un coup d’œil à la pendule, midi 45. Je n’ai que le temps ! Vite ma toque, mon manteau, mes bottikis... Je hèle un isvostchik et en route pour la Place du Palais.

Qui ne connaît le ministre actuel, M. Milioukoff ? S’il fut sous le tsarisme ce qu’on appelait un « homme européen » par l’étendue de ses connaissances, par la largeur de ses vues et l’indépendance de ses idées, il l’est aujourd’hui par sa réputation. C’est un des hommes qui ont le plus fait pour la Révolution russe. Exilé pour son libéralisme, puis revenu dans son pays avec un bagage intellectuel accru, M. Milioukoff joua un rôle important comme publiciste pendant l’époque qui précéda immédiatement la Révolution de 1905. Il fut l’un des principaux organisateurs du parti Konstitutional-Démocratt ou Cadet. Depuis, il a suivi une ligne politique continue. Il a représenté son parti à la troisième et à la quatrième Douma avec maîtrise et éloquence, et s’est trouvé y être sans cesse l’un des principaux leaders. Après la prorogation de la Chambre, en juillet 1915, il commença l’organisation du Bloc, coalition de tous les libéraux à quelque parti qu’ils appartinssent, et qui fit la force de la quatrième Douma. Son discours, à l’ouverture