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— Oui, oui, je sais, c’est la révolution ; mais à quoi bon l’avoir faite, si c’est pour tomber demain sous la servitude allemande ?

Déjà, heureusement, un mouvement se dessine en faveur d’une reprise active de la guerre. Des soldats venus du front ont jeté le cri d’alarme : les provisions d’obus diminuent, l’élan héroïque des troupes menace de se ralentir... Et de toutes parts des manifestations militaires s’organisent : les soldats reprennent leurs promenades rythmées par les chants nationaux ; on passe des. revues de troupes sur la grande place du Palais d’Hiver. Tout le long de la Perspective Newsky, les Cosaques ont défilé avec leurs drapeaux et leurs lances... Puis ce fut le tour des Ecoles militaires : l’infanterie (École Vladimir et Paul), l’artillerie (École Michel et Constantin) traînant ses canons et ses caissons. D’éloquentes inscriptions en lettres d’or éclatent sur le rouge des oriflammes : Orondi soldatam (Des canons pour les soldats). Et la Marseillaise enroule tout dans sa frémissante volute !

Tant de courans se croisent et se contrarient en ce moment dans la capitale bouillonnante que la pensée y perd, à chaque instant, son fil directeur. Tandis que soldats ou officiers du front, élèves-officiers des Ecoles, cherchent à canaliser vers eux l’attention et l’enthousiasme, mille autres sujets les sollicitent. Un cortège de femmes passe avec ses drapeaux, ramenant tous les esprits vers la conquête des conquêtes : le suffrage universel !... Ailleurs, les ouvriers manifestent pour la journée de huit heures ; les femmes des soldats, pour l’augmentation de l’indemnité. La réunion de l’Assemblée constituante, le partage de la terre, la question des nationalités, que de sujets dangereux et passionnans !...

L’appel à la liberté, jeté aux quatre coins de la Russie et du monde par les clairons de la révolution russe, a retenti parmi les nationalités si diverses, et pareillement opprimées, de l’ancien empire des tsars. Mazeppa en a tressailli dans les steppes de l’Ukraine et, d’entre ses rochers de granit, la Finlande se dresse, attentive. Les tronçons de la Pologne ont frémi à l’espoir d’une jonction prochaine ; l’Arménie pantelante s’est soulevée sur son lit de douleurs, la Géorgie a lancé son cri de guerre et frappé sur son bouclier !... Dans toutes les rues de la capitale, à certains jours, les étendards enfin déroulés ont claqué au vent, mêlés à la bannière révolutionnaire : le blason de