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culte, et son officier y assiste avec lui. Est-il aux prises avec une difficulté, il lui suffit d’en faire part à son officier pour qu’elle s’aplanisse. Ainsi naissent en lui la confiance et cet attachement qui, sur le champ de bataille, le rendra obéissant et dévoué jusqu’à la mort. »

Ainsi parla le capitaine V… Etrange contraste entre ce tableau idyllique et la scène peinte par le jeune officier de N… La Russie est faite de ces contradictions…

Quoi qu’il en soit, Guiorgni souffre de quitter un milieu qui convenait à son âme exempte de vulgarité. Assis sur une chaise de la cuisine, dans une pose affaissée, il se lamente :

— Qu’est-ce j’irai faire avec eux ? Bog snaït ! (Dieu le sait !) On ne dirait plus des hommes. Ils disent qu’il ne doit plus y avoir d’officiers et que, s’il y en a, c’est eux qui les choisiront. À la caserne, ils m’ont chargé des travaux les plus durs !… Et voilà, ajoute-t-il non sans logique, ils appellent cela la liberté !… La leur, peut-être… Mais la mienne, qu’en font-ils ?…

Il faut bien le dire, car cela est désormais de l’histoire, c’est le pricaz (ordre) no 1 publié par le Conseil des députés des ouvriers et des soldats[1] qui a fait tout le mal. Ce Conseil, aujourd’hui tout-puissant, est sorti du groupe des députés troudoviki ou travaillistes. Il existait déjà lors de la révolution de 1905 et joua un grand rôle pendant les terribles journées de janvier, sous la présidence de Kroustaloff-Nassar. À son nom ancien, il a ajouté les mots « et des soldats, » afin de comprendre dans son sein l’énorme masse des travailleurs actuellement sous les drapeaux. Deux de ses membres, MM. Kérensky et Tchkéidzé siègent à la fois dans le Gouvernement et dans le Conseil. Il tient ses séances au Palais de Tauride, qui fut celui de la Douma. Socialiste, il a refusé de suivre M. Rodzianko et le Gouvernement provisoire, qui se seraient contentés d’une monarchie constitutionnelle, au moins jusqu’à la convocation de l’Assemblée nationale constituante. Il a insisté pour l’établissement d’une république démocratique et c’est lui qui l’a

  1. Le « Conseil des Députés des ouvriers et des soldats » est composé d’environ 2 000 membres, élus par les masses civiles et militaires sous la présidence de A. F. Kérensky et de Tchkéidzé, député du Caucase. C’est une sorte de Conseil révolutionnaire dont les tendances rappellent celles du club des Jacobins dans la Révolution française. Pour plus de facilité, nous le nommerons simplement ici : Le Conseil.