Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les quartiers ouvriers, l’effervescence n’est, parait-il, pas calmée encore. Le chômage continue dans les usines. Des ivrognes traînent par les rues. On continue à traquer les derniers représentans, à poursuivre la police. Quelques coups de feu ont été échangés... derniers effets d’un orage qui va s’apaisant.


A LA CASERNE. LE CONSEIL DES DÉPUTÉS OUVRIERS ET SOLDATS

Guiorgni, le matelot, est revenu tout triste de la caserne, Certains de ses « camarades » lui ont reproché d’être un « lécheur d’assiettes » parce que, malgré la suppression des « ordonnances, » il continue à demeurer dans la famille de son lieutenant à laquelle il s’est attaché. Lorsqu’il entra comme matelot au service du lieutenant de marine. S... Guiorgni était un garçon pâle et délicat. On lui épargna les travaux pénibles, les courses par les grands froids ; sa santé se fortifia peu à peu.

— Ne jugez pas du service des ordonnances et des matelots en Russie parce que vous avez sous les yeux, me dit quelqu’un. Chez le lieutenant S... les subalternes sont traités « à la française ; » mais la façon dont se comportent avec eux la plupart des officiers, et surtout leurs femmes, n’explique que trop leur animosité et leur révolte. Tout ce qui porte un uniforme en Russie se croit en droit d’être hautain, arrogant, voire brutal.

Même après la Révolution de 1905 des punitions corporelles n’ont pas disparu du code militaire russe. Un jeune docteur militaire m’a assuré qu’avant la révolution il arrivait encore qu’un soldat fût passé par les verges, même sur le front.

— Il est vrai, m’a-t-il dit, que c’était presque toujours dans des cas où les sévérités de la discipline eussent exigé la peine de mort.

Un autre officier m’a raconté ceci :

— Un jour de la fin de l’hiver 1916, j’arrive à N... et je me rends tout droit à la caserne. La ville regorgeait de soldats. N... est un des centres militaires les plus importans du Nord-Ouest. Elle reçoit surtout les paysans des gouvernemens du Nord, qui sont les plus arriérés de la Russie. Aussi est-elle renommée pour l’ignorance de ses recrues. Ce sont de braves gens, mais