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le voyageur pressé, qui se contente de suivre les routes battues de Burgos, Madrid, Tolède, Séville et Grenade. Il n’a vu, sur la plus grande partie du trajet, que des étendues mornes de blocs granitiques, des steppes jaunâtres aux blés maigres, ou des plantations indéfinies de chênes verts ; pas un arbre touffu à haute tige, pas un pré. Les statisticiens ne font que confirmer cette idée défavorable. Près de la moitié du territoire reste en friche. L’hectare ne produit ici que 10 à 11 hectolitres de blé contre 15 à 20 en France. L’Espagne est très loin de fournir les céréales destinées à la nourrir. Elle doit en importer chaque année pour 40 millions de francs. En 1914, le déficit est même monté à 126 millions. Les météorologistes en donnent l’explication : la rareté des pluies, et, quand elles tombent, leur irrégularité. Avant de discuter cette pauvreté apparente et de dire ce que l’on tente pour y remédier, il faut corriger aussitôt cet énoncé par une remarque : l’Espagne est un grand plateau pauvre, entouré d’une couronne fertile. Quand on traverse les huertas de Séville, Cordoue et Valence, le spectacle est tout différent : c’est celui d’un jardin, où une main-d’œuvre persévérante et industrieuse jusqu’à la minutie a tiré parti du moindre lopin de terre, l’a épierré patiemment, irrigué, amené, le soleil aidant, à une merveilleuse fécondité. Et l’Espagne de la Biscaye ou des Asturies est, elle aussi, sans analogie avec ces déserts de la Manche, où l’on se représente trop bien don Qui- chotte errant au soleil : c’est un pays vert, boisé, coupé de ruisseaux, où il semblerait aisé de développer l’élevage.

Si nous revenons à la partie pauvre et dénudée qui occupe une grande place, il faut encore distinguer entre la part de stérilité qui tient à la nature et qui est assez difficilement modifiable, ou celle qui provient de l’action humaine.

Il est incontestable que le déboisement, dû à de très anciennes habitudes pastorales, a été funeste. Le mal s’est accentué par la répartition défectueuse de la propriété. Dans les conditions actuelles, l’Espagne est appauvrie, comme le fut l’Italie romaine, par l’exagération de la grande propriété. On n’y entend parler que de latifundia. Les mécontens, très nombreux, gémissent sur l’absentéisme des grands propriétaires qui songent uniquement à l’élevage des taureaux de course ou à l’engraissage économique des porcs sous les chênes verts, sans effectuer aucun travail, sans apporter aucuns fonds ni aucun