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elle comptait édifier sa propre fortune, l’Angleterre et le Japon contre la Russie et la France, la Russie contre l’Angleterre et le Japon, la Chine et les Etats-Unis contre cet empire du Mikado, considéré depuis son alliance avec l’Angleterre et depuis son rapprochement avec la France et la Russie, comme l’un des ennemis qu’elle devait ruiner et détruire. A l’aide de ces intrigues, elle croyait pouvoir tout ensemble consolider et étendre le domaine si perfidement acquis sur la côte orientale du Chan-Tong et se concilier cependant le bon vouloir de la Chine qu’elle affectait de protéger contre d’autres convoitises. Avec la cécité habituelle que déterminaient chez elle l’esprit de malfaisance, la joie de nuire (Schadenfreude) et l’avidité impatiente, elle n’avait pas vu par quelle évolution le Japon, en qui s’étaient mariés les deux cultures et les idéaux de l’Orient et de l’Occident, avait senti la nécessité de ne poursuivre le développement, ou plutôt la renaissance de l’Asie, que dans une pleine entente entre lui et les Puissances de l’Ouest qui comprendraient et approuveraient son dessein. Les expériences de 1894-1805 et de 1900, je veux dire la guerre sino-japonaise et l’insurrection des Boxeurs, avaient été, à cet égard, des enseignemens lumineux pour le Japon, et c’est d’elles qu’il s’était inspiré avant de nouer, d’abord avec l’Angleterre, puis avec la France et la Russie, enfin avec les Etats-Unis, les accords sur lesquels reposaient solidement désormais, outre l’avenir de ses propres destinées, l’équilibre et la paix de l’Asie. Les conséquences de ce contraste entre l’aveuglement brutal de l’Allemagne et la claire prévision du Japon et de ses alliés n’allaient pas tarder à apparaître, tant sur le ciel du lointain Orient et sur les eaux du Pacifique que sur l’horizon orageux de l’Ouest, sur les mers baignant les côtes de l’Europe.


II

Lorsque éclata, le 2 août 1914, la guerre provoquée par l’agression de l’Allemagne et que, deux jours plus tard, l’Angleterre fut amenée par la violation de la neutralité belge à se ranger aux côtés de la France et de la Russie, le Japon n’hésita pas. Allié de l’Angleterre, et par conséquent de la France et de la Russie, il se mit aussitôt en ligne pour remplir tout son devoir. Le 15 août, le gouvernement impérial du Mikado avait