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les champs de bataille de Champagne, de Verdun, de la Somme, et dont les oreilles bourdonnent encore du tumulte des canons monstrueux, en parlent avec un sourire condescendant. Ils la comparent volontiers à une guerre coloniale, et il ne faudrait pas trop les presser pour qu’ils ne fissent aucune différence entre les Bulgares ou les Turcs, et les « nègres » ou les « Chinois. » Les rescapés des grosses marmites et des mines-volcans sont dans l’erreur. En Orient, le canon parle moins fort ; mais les mitrailleuses et les fusils sont plus bavards. Je connais tels régimens qui ont subi des pertes plus lourdes dans une marche d’approche ou une attaque en Macédoine que dans les premiers chocs de Belgique et dans les célèbres assauts de tranchées en France. Si les torpilles et les obus suffocans ou lacrymogènes, si les jets de flammes et les nappes de gaz sont d’un usage peu commun, ce n’est pas faute de savoir s’en servir ; mais ces engins, qui représentent l’article de luxe dans la guerre actuelle, sont d’un transport et d’une installation difficiles, et les deux adversaires ont assez de mal pour se procurer en abondance l’article courant. Ils l’emploient d’ailleurs avec générosité.

Quiconque supposerait que la fougue française, la ténacité britannique, l’héroïsme serbe, la valeur italienne, l’impassibilité russe, la finesse macédonienne et monténégrine réunies auront facilement raison de la démoralisation bulgare et de la passivité turque se ménagerait de douloureuses déceptions. Les Turcs ont montré aux Dardanelles, comme naguère à Tchataldja et jadis à Plewna ce qu’ils peuvent faire dans une lutte défensive. Que les armées du tsar Ferdinand soient d’une solidité à toute épreuve, on ne saurait le prétendre après les opérations de Florina et de Monastir. Cependant, elles ont su pratiquer l’offensive, elles sont manœuvrières, leur artillerie est vigilante et prompte à l’action, leurs soldats battent volontiers l’estrade et tiennent dans les positions jusqu’à ce qu’ils aient reçu l’ordre de les évacuer. D’ailleurs, par un habile mélange, les troupes allemandes assument seules les risques et les responsabilités dans les secteurs particulièrement importans. Enfin, les Bulgares sont bien pourvus de munitions et bien ravitaillés. Je n’ai jamais vu de déserteur quémander un morceau de pain.

Contre de tels adversaires la lutte est dure. Elle s’éterniserait sur les montagnes abruptes, dans les vallées larges et les