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cela, elle n’était pas contente d’elle... « Comme dans le vieil opéra, comique cher à nos pères, une dame blanche vous regardait : c’est très gênant ; et c’était la dame blanche que vous vouliez être qui vous regardait ainsi... » Elle n’était pas infirmière encore, pour la seule raison que le projet de voir du sang la faisait défaillir. Et puis, ce fut en Bretagne, à la fin d’une belle journée, l’automne... « Un angélus tintait ; rien ne manquait à l’émotion de ce moment et l’on pensait que rien n’était plus beau que ce paysage de France, et que la France... D’un hôtel transformé en hôpital, deux infirmières sortaient ; leur cape sur le bras, toutes blanches dans le crépuscule, elles montaient une côte assez longue et rapide, d’un pas cadencé, décidé, allongé. Quand elles passèrent, vous vîmes qu’elles étaient toutes jeunes et que leur visage rayonnait de cette gaieté que donne une noble tâche accomplie. Et, quand elles eurent passé, vous avez dit : « Décidément, en rentrant à Paris, je suivrai des cours. » Ainsi, deux filles de la plus active et tangible charité, la beauté de l’heure, la double mélancolie d’un beau jour et des beaux jours qui finissaient, tout cela collabora à votre décision... » La dame blanche est en Bretagne, confinée dans un hôpital militaire, loin des yeux qui la verraient si brave et si bonne : toute seule ; et, le soir, dès que ses blessés dorment, elle se retire dans sa chambre et lit Montaigne.

A Paris, elle a laissé sa cousine Clotilde. Et, Clotilde, M. Maurice Donnay l’a rencontrée, qui descendait de son auto et allait rue de Rivoli, prendre le thé. Elle devait retrouver à ce thé le comité de l’œuvre dont elle est présidente, l’œuvre des Désœuvrées : les dames du comité ont rendez-vous, chaque soir, entre cinq et six heures, dans un thé différent ; « quelle sujétion !... » Clotilde n’approuve pas, et traite de véritable folie, qu’on soit dame blanche et qu’on choisisse un hôpital à cinq cents kilomètres de Paris et des amis. Elle n’a pas le goût de l’exil ; et elle n’a point envie de donner à ses contemporaines un grand exemple : son œuvre des Désœuvrées lui suffit. « Ayant dit ces choses, elle s’est aperçue qu’elle mourait littéralement de froid, malgré ses fourrures, et elle est entrée précipitamment dans la maison de thé où l’attendaient la vice-présidente, la secrétaire et la trésorière... » M. Maurice Donnay déteste Clotilde ; et, s’il ne le lui dit pas avec une sévérité rude, c’est que la rudesse ne changerait pas Clotilde, quand la guerre ne l’a point changée. Les personnes qui traversent le temps effroyable de la guerre sans avoir l’air de s’en apercevoir et sans tirer de la guerre aucun enseignement, que leur faut-il ? Ce sont des âmes préservées ; ce sont des âmes abritées : ce sont des