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elle est née de ces croyances qui, par tout ce qu’elles ont de plus excellent, se rejoignent en profondeur. Chaque famille spirituelle a maintenu ses droits, mais sous leur forme la plus pure, et, par là même, s’est trouvée toute proche des autres familles qu’elle aurait crues ennemies. » C’est le phénomène le plus étonnant de la guerre.

Des anecdotes le révèlent, par le dehors. Un soir de bourrasque et de pluie, trois aumôniers, un prêtre catholique, un pasteur et un rabbin, se trouvaient ensemble, non loin de soldats qui relevaient des cadavres. Avant de rejeter la terre sur les défunts, les soldats s’adressent à ces trois aumôniers, pour la prière des morts. Et, — de quelle religion, ces défunts ? — Mystère. « Eh ! nous allons, à tour de rôle, les bénir... » Le catholique, le protestant et le rabbin, successivement, bénirent les corps ; et puis, « ils ont serré la main des soldats, qui n’étaient pas nécessairement des croyans. » A la bataille de Verdun mourut le capitaine Millon, prêtre. Et le grand ami de ce prêtre-capitaine, c’était son chef de bataillon, lui nettement libre penseur. Le libre penseur alla trouver un de ses soldats, un catholique : « Si j’étais tombé le premier, il aurait dit une messe pour moi. Voulez-vous que nous demandions au curé un service à son intention ? » Le libre penseur assista au service avec les soldats et les gens du village. Le curé, après l’évangile, dit quelques mots et pria le chef de bataillon de parler à son tour. Sur les marches de l’autel, le chef de bataillon libre penseur glorifia son ami, le prêtre-capitaine, et sut déclarer « qu’il fallait à la France de demain l’étroite collaboration du prêtre, de l’officier et de l’instituteur. » Ce sont des anecdotes. M. Maurice Barrès ne s’en contente pas, pour montrer cette union profonde et intime des croyances qui ont entre elles le plus de différence et de contrariété. Il va examiner ces croyances, il va examiner le tour qu’elles prennent, dans les âmes où elles sont le principe de toute activité. Les âmes sont difficiles à connaître ? Il n’en doute pas. Elles ne se livrent pas aux regards : elles ont leur pudeur, elles ont leur maladresse, elles ont aussi leur simplicité qui déroute l’amitié même. Pourtant, leur histoire est leur aveu ; et ces lettres que les combattans écrivent, dans les minutes qui vous arracheraient votre sincérité, si vous aviez le goût de la modestie ou de la supercherie, ces lettres-là sont l’évidente vérité. M. Maurice Barrès les a consultées ; il les cite et il les interprète avec une poignante sympathie. Ces témoignages si brûlans de ferveur, il en tire une lumière vive et qui éclaire de larges pans de la conscience nationale. Il a une admirable puissance de divination morale. Et il