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que je sens qu’il s’agit de défendre les deux grandes causes à quoi j’ai voué ma vie. » Et le 20 août, il écrivait à sa mère.


Mon commandement, si modeste qu’il soit, me donne les plus grandes satisfactions : j’ai autour de moi une bande de gaillards très fiers de marcher à l’ennemi et très décidés à se conduire en braves gens... Nous allons certainement à de grandes victoires, et je me repens moins que jamais d’avoir toujours désiré la guerre, qui était nécessaire à l’honneur et à la grandeur de la France. Elle est venue à l’heure et de la manière qu’il fallait. Puisse la Providence ne pas nous abandonner dans cette grande et magnifique aventure !


Le 22 août, à Saint-Vincent-Rossignol, près de Neufchâteau, en Belgique, son régiment était engagé dans un terrible combat.


Lancés beaucoup trop en avant pour compter sur aucun secours, — raconte un des survivans, — cernés dès les premières heures de la journée par un ennemi très supérieur en nombre, nous n’avons pu que vendre chèrement notre vie, et c’est ce que nous avons fait. Des marsouins, quelques-uns ont pu s’échapper, de l’artillerie personne. A sept heures du soir, il ne restait plus qu’un charnier de notre belle artillerie divisionnaire : les canons étaient hors de service, après avoir consommé toutes les munitions ; les chevaux étaient éventrés, la moitié du personnel était hors de combat. Les survivans, à la nuit, étaient faits prisonniers par les Allemands... Les hommes ont été d’une bravoure sans égale ; pas un n’a bronché. Alors qu’ils étaient sûrs d’y passer tous, pas un n’a flanché : ils ont servi leurs pièces comme à la manœuvre.


Ernest Psichari fut de ceux-là. Il était cinq ou six heures. Le jeune lieutenant venait d’assister son capitaine, grièvement blessé. Il retournait à sa pièce. Les Allemands n’étaient plus qu’à quelques mètres. Soudain on le vit s’affaisser, frappé d’une balle à la tempe. Quand on le retrouva, il avait le visage étrangement calme ; autour de ses mains était enroulé son chapelet.

Le lieutenant Ernest Psichari repose aujourd’hui sur le champ de bataille, avec quatre officiers français et vingt-cinq de ses canonniers. Il l’avait écrit lui-même : « Ce n’est pas en vain qu’il a souffert les premières heures de l’exil, ni que le soleil l’a brûlé, ni que la solitude l’a enseveli sous ses grands voiles de silence. »


VICTOR GIRAUD.